Guinée: Primauté de l’impunité sur l’état de droit en Guinée

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Human Rights Watch  (Photo credit: Wikipedia)

La Guinée a été la première colonie française d’Afrique noire à accéder à l’indépendance en 1958. Du mois de septembre 1958 au mois d’avril 1984, un pouvoir qui se qualifiait de révolutionnaire a transformé le pays en une immense prison à ciel ouvert, arrêtant, torturant, emprisonnant et tuant des citoyens innocents. En 2010, M. Alpha Condé, professeur de droit a accédé au pouvoir après des élections entachées de violences des forces de sécurité et des affrontements inter ethniques.

Une histoire où l’impunité faisait déjà loi

L’historien guinéen, Prof. Tierno Siradiou Bah, Directeur exécutif du Mémorial virtuel Camp Boiro, a écrit sur blog (anglais) :

Arbitrary arrests, detention, torture, fake trials, and executions became a routine. Military barracks turned into detention centers and killing grounds. Thousands of political prisoners disappeared there. The country itself became a global prison. Everyone was a potential target of the ‘revolutionary’ secret police, including children and the elderly. The terror peaked in 1976. Then, in a series of provocative and self-destructive speeches, Sekou Touré incited to ethnic warfare and genocide against the main ethnic group: the Fulɓe.
Located in the center of Conakry, the Camp Boiro National Guard Barracks was the epicenter of the Guinean Gulag. It is estimated that more than 50,000 political prisoners disappeared there. The purges targeted the country’s brightest minds but also the entrepreneurs, the unions leaders, women…

28 septembre en Guinee. Photo via la page facebook de Guinee58
28 septembre en Guinee. Photo via la page facebook de Guinee58

Arrestations et détentions arbitraires, torture, procès truqués et exécutions étaient devenues une routine. Des casernes ont été transformées en centres de détention et des lieux d’exécutions. Des milliers de prisonniers politiques ont disparu là-bas. Le pays lui-même fut devenu en une prison générale. Tout le monde était une cible potentielle de la police secrète «révolutionnaires», y compris les enfants et les personnes âgées. La terreur atteint son sommet en 1976. Puis, dans une série de discours provocateurs et auto-destructeurs, Sekou Touré incita à la guerre ethnique et au génocide contre le principal groupe ethnique: les Fulɓe.
 Situé dans le centre de Conakry, le Camp Boiro, Caserne de la Garde nationale a été l’épicentre du Goulag guinéen. On estime que plus de 50.000 prisonniers politiques ont disparu là-bas. Les purges ciblèrent les esprits les plus brillants du pays, mais aussi des entrepreneurs, des dirigeants des syndicats et des femmes …

L’armée en Guinée via Abdoulaye Bah dans le billet du 2 octobre 2011
Et après Sékou Touré?

Depuis sa mort, d’autres dictateurs ont dirigé le pays, causant eux aussi des violences extrajudiciaires contre la population civile pour diverses prétextes : manifestation syndicale ou étudiante, révolte des femmes contre les conditions misérables et le côut de de la vie, etc.

En 2011, l’ACAT-France ensemble avec de nombreuses organisations guinéennes militantes pour les droits humains ont effectué une enquête à travers le pays et publié une étude sur le phénomène tortionnaire en Guinée, ” Torture : la force fait loi.” A la suite de cette enquête, l’ACAT-France a lancé une pétition en ligne  “GUINÉE. Halte à la torture” adressée au Président Alpha Condé qui se clôturera le 31 décembre. On peut y lire :

la torture reste une pratique courante dans le pays, que ce soit à l’encontre de détenus de droit commun, à l’occasion de répressions de manifestations ou pour sanctionner les militaires suspectés de sédition. Dans un contexte politique qui reste tendu, les autorités feront-elles le choix de rétablir l’état de droit ou de laisser prévaloir l’impunité ?

L’exemple le plus tristement fameux de ces violences qui aient attiré l’attention de la communauté internationale ont été les massacres du 28 septembre 2009 et les jours suivants. Amnesty International rappelle les faits sur son site:

Le 28 septembre 2009, les forces de sécurité guinéennes avaient abattu plus de 150 manifestants non armés durant un rassemblement de l’opposition dans ce même stade. Plus de 40 femmes avaient été violées en public, au moins 1 500 personnes avaient été blessées et beaucoup d’autres avaient disparu.

Nathalie Zajde, maître de conférences, Université de Paris VIII, responsable de la cellule psycho-sociale du Centre Mère et Enfants à Conakry, écrivait sur le site web du quotidien français lemonde.fr à l’occasion de l’anniversaire du deuxième anniversaire des massacres du 28 septembre 2009 :

Je ne sais si Mme Nafissatou Diallo a été ou non victime de violences sexuelles à l’hôtel Sofitel de New York en mai. En revanche, je sais, et nous sommes très nombreux à en avoir les preuves, que plus de 100 femmes guinéennes, dont une majorité de Peules, ont été le 28 septembre 2009 et les jours qui ont suivi, victimes de viols atroces et de tortures commis par des militaires, gendarmes et responsables politiques guinéens dont certains clairement identifiés, et qu’à ce jour, exactement deux ans après les terribles événements, aucun n’a été arrêté, ni même convoqué par des juges.

L’impunité manifeste aujourd’hui

Les Nations unies et l’ONG Human Right Watch avaient chacune envoyé une mission d’enquête en Guinée pour évaluer l’ampleur des violences et dresser une liste des responsables.

Toutefois, en 2011, HRW écrivait :

Personne n’a encore eu à rendre des comptes deux ans après que les forces de sécurité guinéennes eurent abattu des manifestants non armés lors d’un rassemblement de l’opposition à Conakry, la capitale, rappelle aujourd’hui Human Rights Watch…., le gouvernement guinéen doit faire davantage pour s’assurer que justice soit faite pour les victimes du massacre du 28 septembre 2009.

Pourtant, selon la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation guinéenne des droits de l’Homme (OGDH) la Commission d’enquête de l’ONU a remis son rapport au Conseil de sécurité le en juillet 2012 reconnaissant qu’il s’agissait bien de crimes contre l’Humanité et appelant à la saisine de la Cour pénale internationale.

Toutefois, aucune des personnalités qui étaient aux postes de commande des forces de sécurités lors de ces violences n’a été inquiétée, mais au contraire, l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme (OGDH), note:

Nous assistons impuissants à la promotion de certains présumés auteurs de la barbarie à de hautes fonctions civiles et militaires.

Parmi les militaires qui étaient à des postes de commandement et qui ont  été promu pas le Président Alpha Condé, il y a le lieutenant-colonel Tiégboro Camara, inculpé par la justice guinéenne en février passé et qui a été promu au poste de Secrétaire général chargé exclusivement des Services spéciaux, de la Lutte contre la Drogue et le Crime organisé, avec rang de ministre.

Le dernier cas de violence a eu lieu le 9 novembre 2012 lorsque Mme Aissatou Boiro qui enquêtait sur un cas de corruption à haut niveau, a été abattue lorsqu’à la fin de son travail en voulant rentrer à la maison des hommes en armes ont bloqué sa voiture et lui ont tiré dessus en pleine journée. Un billet sur le site de l’ONG Human Rights Watch raconte:

Les hommes ont surgi d’un autre véhicule qui s’était arrêté de manière à bloquer la voiture d’Aissatou Boiro et ont tiré deux fois sur leur victime. Les amis et la famille d’Aissatou Boiro ont rapporté qu’elle avait reçu des menaces de mort…..

Ses collaborateurs ont partagé avec Human Rights Watch qu’elle mènait une enquête sur un détournement de fonds publics présumé de plus de 13 milliards de francs guinéens (1,8 million de dollars américains).

Ecrit par Abdoulaye Bah

Paru en premier lieu sur: http://fr.globalvoicesonline.org/2012/11/24/129200/

Publié par

abdoulayebah

Guinéen, retraité des Nations Unies, a participé aux missions pour la paix au Cambodge, Haïti et Rwanda. Partage son temps entre Conakry, Nice et Rome. Occupation principale : grand-père de deux adorables fillettes. Traducteur et auteur sur Global Voices online, réseau social utilisant une vingtaine de langues. Militant du Parti radical italien. Anime un forum en ligne pour l'Association des victimes du Camp Boiro et de tous les camps de concentration où 50 000 Guinéens ont péri sous le régime dictatorial de Sékou Touré. Langues apprises : italien, anglais, espagnol, serbo-croate, allemand, portugais et peulh de Guinée (langue maternelle). Pays dans lesquels a vécu au moins 6 mois: Autriche, Cambodge, Cote d'Ivoire, Éthiopie, France, Guinée, Haïti, Italie, Kenya, Rwanda et Serbie.

4 réflexions au sujet de “Guinée: Primauté de l’impunité sur l’état de droit en Guinée”

  1. Une chose reste claire, tant que l’Etat Guinéen n’aura pas travaillé à rendre justice, la cohabitation entre autorités publiques et citoyens, entre groupes ethniques, entre forces de sécurité et peuple, bref entre les Guinéens sera teinte de de discorde et de conflits. L’injustice ciblée qu’a subie une grande majorité des citoyens Guinéens doit être impérativement réparée avant de songer à la stabilité sociale et au développement économique du pays. Trop c’est trop, et l’on sait très pertinemment qu’il est impossible de pardonner à plus forte raison d’oublier certains événements marquants de notre histoire depuis l’indépendance. Unité nationale et développement socio économique en dépendent. Les autorités publiques restent les seules à détenir les clés de la paix et de l’harmonie sociale en Guinée.
    Une autre chose reste certaine, que les hommes rendent justice ou pas, le bon Dieu lui rendra justice aux victimes lors du jugement dernier.

    1. Ce qui rend la situation actuelle de notre pays encore plus insupportable, c’est le fait qu’un Prof. de droit avec sa clique nous fasse regretter les pouvoirs militaires qui l’ont précédé! En démocratie, on peut ne pas etre tous du même avis, mais travailler à atteindre des objectifs positifs pour la nation que nous aimons tous. Même lorsque notre Président crée une structure de dialogue, il fait tout pour la transformer en une poudre jetée aux yeux de l’opinion.

      Dans les conditions actuelles tous les préalables ne sont pas mis en place pour que nous ayons des élections crédibles. Elles seront une source de confrontation, au lieu d’être un pas vers la sortie de crise.

      1. Très belle analyse, nos autorités à tous les niveaux ainsi que la majorité de citoyens considèrent encore fort malheureusement que le fait de rendre justice est une façon d’exacerber la division alors que la justice est le socle de la vie en harmonie, de la citoyenneté et du respect de l’égalité dans une Nation démocratique qui se veut évolutive.
        .

  2. Tout à fait d’accord avec toi pour condamner cet état de fait, fermer les yeux sur ces atrocités, quelqu’en soit la cause, ce serait condamner pour toujours la Guinée à vivre de misère et de corruption!

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