Éthiopie: Le combat des blogueurs de Zone9 en prison sans aucune charge depuis un an

Le dernier billet que j’ai traduit porte le titre de Éthiopie : un an après leur arrestation, les blogueurs de Zone9 restent plus déterminés que jamais. La révision a été faite par ma chère amie Claire Ulrich, qui fait partie de ces personnes qui m’ont carrément poussé vers ce monde merveilleux qu’est le blogging. Sans cette activité, je me demande ce qu’aurait été ma vie de retraité.

Le titre original en anglais était A Year After Their Arrest, Ethiopia’s Zone9 Bloggers Remain Strong and Determined. Il a été écrit par Ellery Roberts Biddle & Ethan Zuckerman. Ce dernier n’est rien moins que le fondateur de globalvoicesonline.org. C’est une de ces personnalités à la vie tellement bien remplie qu’on se demande si pour elles aussi les journées n’ont que 24 heures. en plus de sa jovialité qui frappe dès le premier instant qu’on l’a en face de soi, c’est qu’il n’hésite pas à vous parler des langues africaines telles que le Yoruba, le Bambara, etc. Fascinant Ethan!

Roberts Biddle est la directrice de Global Voices Advocacy et un membre de longue date de la communauté Global Voices. Une autre sommité aussi, qui s’est jetée corps et âme dans le combat pour la libération des blogueurs éthiopiens du blog collectif Zone9.

Voici leur billet et bonne lecture

Les membres fondateurs de Zone9. De gauche à droite: Endalk Chala, Soliana Shimeles, Natnael Feleke, Abel Wabela. Befeqadu Hailu, Mahlet Fantahun, Zelalem Kiberet, Atnaf Berahane.

Écrit par Ellery Roberts Biddle & Ethan Zuckerman

En avril dernier, tard un vendredi, un email est apparu sur la liste de la communauté Global Voices avec comme sujet de l’email : “Épouvantable”. Un groupe de nos auteurs et leurs collègues blogueurs avaient été arrêtés ce jour là à Addis-Abeba. Six de ces hommes et femmes faisaient partie de Zone9, un blog collectif [fr] qui couvrait les questions sociales et politiques en Éthiopie ainsi que la promotion des droits humains et la bonne gouvernance. Nous avons rapidement appris qu’ils avaient été arrêtés en raison de leur travail en tant que blogueurs.

Les blogueurs de Zone9 cherchaient à favoriser le débat et la discussion politique dans un pays où la plupart des médias tombent sous le contrôle asphyxiant des autorités gouvernementales. Ils voulaient aider leurs concitoyens à mieux comprendre leurs droits, tels qu’ils sont garantis par la constitution. Ils voulaient que plus d’éthiopiens aient leur mot à dire dans la façon dont leur pays est gouverné.

La Corne de l'Afrique. Carte de l'ONU, publiée au domaine public.

Ce n’est pas facile de traiter de ces questions en Éthiopie. En tant que deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, l’Éthiopie bénéficie d’un important flux d’aide militaire et humanitaire étrangère, en grande partie destinée à renforcer et à maintenir le rôle du pays comme bastion de la sécurité dans la Corne de l’Afrique, où les niveaux de tensions ethniques, la corruption et la criminalité sont élevés.

Le gouvernement fait face à des menaces de groupes militants armés dans la région nord du pays et dans la Somalie voisine, et il bénéfice d’un grand soutien des gouvernements occidentaux, dont les États-Unis, pour préserver la stabilité dans la région. Mais la peur causée par cette situation précaire a des conséquences dans la vie quotidienne, laissant peu de place pour l’activité de la société civile et le débat démocratique. Au cours des dernières années, le gouvernement a développé une tendance inquiétante à étiqueter toute personne qui exprime la dissidence comme un terroriste.

Prenons le cas du journaliste Eskinder Nega [fr]. Le crime de Nega a été de couvrir les manifestations du Printemps arabe et de souligner que l’Éthiopie pourrait faire face à des manifestations similaires si le gouvernement ne s’ouvrait pas et ne procédait pas à des réformes. Il a été accusé de “planifier, préparer un complot, inciter et organiser” des actes de terrorisme. Pour cela, il purge actuellement une peine de 18 ans de prison.

En 2013, craignant de subir le même sort, les membres de Zone9 ont abandonné leur blog pendant plus d’un an. Mais au printemps dernier, ils ont décidé qu’ils ne pouvaient pas garder le silence plus longtemps. Le 25 avril 2014, le gouvernement a réagi en arrêtant six membres de l’équipe du blog, ainsi que trois journalistes qu’il considérait comme “affiliés” aux blogueurs.

Natnael Feleke avec M. John Kerry, en 2013.

Bien qu’ils doivent encore être traduits en justice, les blogueurs ont été inculpés en vertu de la loi contre le terrorisme [fr]. Cela donne une idée de ce que le gouvernement éthiopien combat : la dissidence, pas la terreur. Une grande partie de l’acte d’accusation porte sur le fait que les blogueurs aient reçu une formation pour chiffrer leurs communications, en particulier grâce à l’utilisation de Security in a Box [fr], une boîte à outils de sécurité numérique destiné à aider les militants des droits humains à se protéger contre la surveillance, facilement accessible en ligne. Le gouvernement éthiopien accuse les blogueurs de Zone9 de l’utilisation de ces outils dans une tentative de “renverser, modifier ou suspendre la Constitution fédérale ou de l’état; ou par la violence, les menaces ou la conspiration.” En fait, les blogueurs utilisaient ces outils pour coordonner leur travail de reportage, espérant éviter la détection et l’arrestation par un gouvernement paranoïaque.

Nous sommes en admiration devant la force, la détermination et la combativité dont ces blogueurs ont fait preuve depuis leur arrestation. En août 2014, Befeqadu Hailu, un des membres fondateurs de Zone9 et auteur de Global Voices, a écrit un compte rendu détaillé de ses expériences [fr] derrière les barreaux, un texte sorti clandestinement de la prison et publié sur notre site. Ses paroles ont laissé notre communauté à la fois interloquée et hantée depuis. “Peu importe que” écrit-il, “des limites existent dans ce pays. Les gens qui écrivent sur la réalité politique de l’Éthiopie devront faire face à la menace d’incarcération aussi longtemps qu’ils vivront ici “.

A lire: Journal d’un prisonnier éthiopien: témoignage de Befeqadu Hailu

Plus récemment, ses amis ont pu sortir clandestinement une lettre de Natnael Feleke, un autre membre fondateur du collectif de blogging Zone9 qui étudiait l’économie avant son arrestation. La lettre de Natnael est adressée au Secrétaire d’état américain M. John Kerry. En 2013, Natnael avait conféré avec M. Kerry lors d’une manifestation publique organisée à l’Université d’Addis-Abeba, une réunion qui est présentée maintenant comme une preuve contre lui. Dans la lettre, Natnael demande au gouvernement américain de reconsidérer son soutien au gouvernement éthiopien. Il écrit:

…[Le] temps que je passerai en prison n’est pas la question la plus pressante dans mon esprit en ce moment. Au contraire, je suis inquiet au sujet du sacrifice supplémentaire nécessaire pour que la communauté internationale, en particulier votre gouvernement, puisse adopter une attitude pragmatique pour exiger des progrès fondamentaux dans le processus de démocratisation du pays en échange des milliards de dollars déversés en faveur de ce régime.

Je ne veux pas que vous vous me mépreniez. Ce n’est pas que je n’apprécie pas l’importante assistance déployée dans le processus de développement de mon pays. C’est juste que je crois fermement que le suivi efficace de cette aide ne peut se faire que  là où il y a une gouvernance responsable. C’est ironique que le premier bénéficiaire mondial de l’aide au développement soit sans surveillance et contrôle de comptes efficace.

[…]

Dans son livre The Audacity of Hope, le président Obama déclare que le véritable test de ce que nous valons vraiment est là où nous investissons le temps, l’énergie et l’argent que nous avons. Je comprends la difficulté que vous rencontrez à trouver un équilibre entre le maintien de la sécurité et la stabilité ainsi que la promotion de la démocratisation dans votre politique étrangère. Mais une stabilité durable ne peut être atteinte que par un gouvernement démocratiquement élu et des institutions auxquelles le peuple a confiance. Comme les intérêts nationaux américains sont construits sur les valeurs fondamentales de la liberté et de la démocratie, j’ai l’espoir et la confiance que vous allez adopter une nouvelle position qui puisse forger une relation plus claire entre toute forme d’aide et le processus de démocratisation.

La lettre ne soutient pas seulement un argument politique. Natnael parle aussi de sa propre expérience en prison, décrivant la torture, les mauvaises conditions et l’enquête criminelle que les blogueurs ont subie, qu’il qualifie de “ridicule”.

A lire A Letter to John Kerry from Kilinto Prison, Ethiopia (une lettre à M. John Kerry de la prison de Kilinto, Éthiopie)

La clairvoyance avec laquelle les blogueurs semblaient anticiper leur sort actuel est surprenante. Le blog Zone9  tient son nom de Kality, une prison à la périphérie d’Addis-Abeba, où Eskinder Nega est incarcéré depuis 2011. La prison de Kality est divisée en huit zones différentes, dont la dernière – Zone Huit – est réservée aux journalistes, aux militants des droits de l’homme et aux dissidents. Endalk, l’un des trois membre de Zone9, qui est libre aujourd’hui, a expliqué que lorsque le groupe s’est formé, “nous avons décidé de créer un blog pour la célèbre prison dans laquelle tous les éthiopiens vivent: c’est Zone Neuf.”

Les blogueurs de Zone9 devraient comparaître en procès à la fin du printemps. S’ils sont condamnés, ils vont se retrouver en compagnie d’au moins dix-huit autres journalistes qui ont subi le même sort.

Publié par

abdoulayebah

Guinéen, retraité des Nations Unies, a participé aux missions pour la paix au Cambodge, Haïti et Rwanda. Partage son temps entre Conakry, Nice et Rome. Occupation principale : grand-père de deux adorables fillettes. Traducteur et auteur sur Global Voices online, réseau social utilisant une vingtaine de langues. Militant du Parti radical italien. Anime un forum en ligne pour l'Association des victimes du Camp Boiro et de tous les camps de concentration où 50 000 Guinéens ont péri sous le régime dictatorial de Sékou Touré. Langues apprises : italien, anglais, espagnol, serbo-croate, allemand, portugais et peulh de Guinée (langue maternelle). Pays dans lesquels a vécu au moins 6 mois: Autriche, Cambodge, Cote d'Ivoire, Éthiopie, France, Guinée, Haïti, Italie, Kenya, Rwanda et Serbie.

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