Rwanda: Paul Kagame, le leader que j’aurais aimé haïr, mais aussi voir à la tête de tous les pays africains

Je suis contre toutes les formes de dictature. Au-dela des raisons politiques et morales, je le suis car mon père a été victime de la tyrannie de Sékou Touré . Moi-meme, j’ai failli finir au Camp Boiro, pour un simple contrôle d’identité, le jour même de mon arrivée à Conakry pour y passer mes vacances.

C’est lorsque les militaires étaient entrain de prendre nos noms que mon père et Barry III sont arrivés pour m’extirpé des griffes des tortionnaires.

En outre la dictature a ruiné les bases memes du développement socio économique de la Guinée et déchiré le tissu social au point que le pays n’arrive toujours pas à s’en relever, 31 ans après la mort du sanguinaire dictateur. A cause d’elle, j’ai vécu des décennies en exil, sans papier.

President Kagame meets with Alpha Oumar Konare, former President of Mali and African Union High Representative to South Sudan- Kigali, 24 August 2015

Mais, si j’étais rwandais, j’aurais fait comme ces près de 4 millions sur un corps électoral de quelque 6 millions de mes compatriotes qui ont signé en quelques semaines, des pétitions demandant au Parlement de modifier l’article 101 de la Constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels successifs. J’aurais applaudi, lorsque le Parlement à l’unanimité a donné, le mardi 11 août dernier, son feu vert pour une réforme de la Constitution dans ce sens.

J’ai vu Kigali quelques semaines après la fin de ce cauchemar que fut le génocide. J’ai senti l’odeur des corps en putréfaction dans les rues, j’ai vu les chiens engraissés pour avoir mangé de la chair humaine, les images des taches de sang visibles partout sont encore présentes dans ma mémoire. Aucun service n’était opérationnel. Cela veut dire ni banque, ni hôtel, ni restaurant, ni poste, ni police: rien!!!

J’ai fait partie de la première vague de fonctionnaires à aller à Kigali pour préparer l’arrivée des autres. Bien qu’étant fonctionnaires de la MINUAR2, mes collègues et moi, nous étions obligés de dormir à même le sol et à 4 dans le même bureau, celui du chef de la Section des NTIC, pendant plusieurs jours. Nous faisions la toilette avec de l’eau minérale, fournie par le contingent canadien, nous mangions des rations militaires du contingent militaire français. Ce sont les militaires indiens et australiens qui nous soignaient.

De par mes fonctions de chef de la section des services généraux et de président du bureau interne d’enquêtes de la MINUAR2, j’ai visité le pays en long et en large, par voiture et par hélicoptère, j’ai vu l’entité des dégâts qu’une guerre fratricide avait provoqués meme dans les endroits les plus reculés.

Pendant deux décennies, après avoir quitté le Rwanda, je n’ai jamais pu faire une conférence ou animé un débat sur mon expérience sans éclater en sanglots, même devant des enfants des écoles primaires ou devant des professeurs d’université.

J’y suis retourné en 2012 pour voir si la vue de ce qu’était devenu le pays depuis mon départ. Là où il n’y avait que ruines, il y avait des réalisations et des chantiers de construction de routes et de bâtiments, des parcs et des hôtels pour toutes les poches. La ville avait tellement changé que j’ai eu des difficultés à reconnaitre la route pour aller à la résidence que j’ai occupée pendant 2 ans et demi.

Dans les temps modernes, le Rwanda n’a jamais vécu une période de paix et de stabilité aussi longue que depuis que le Président Paul Kagame est arrivé au pouvoir. Durant cette période, le développement a été spectaculaire. S’il quittait le pouvoir, a-t-on l’assurance de trouver un autre dirigeant qui fasse mieux que lui pour maintenir la concorde nationale? On peut ne pas aimer ce que fait le Président Kagame en matière des droits humains, mais son régime a démontré sa capacité à maintenir le pays uni, malgré le lourd passé. C’est pourquoi, j’aurais aimé le détester, mais il reste mon dictateur favori et que je souhaiterais voir à la tête de nombreux états africains.

Dans cet article que ,’ai écrit sur le réseau fr.globalvoicesonline.org, traduit en 6 langues, je vous livre mes sentiments sur ce que j’ai constaté d’une manière documentée à propos du Rwanda. Le titre original était: Rwanda: De sérieuses fissures sur le tableau d’honneur de Paul Kagame.

Colloque sur la prévention du recrutement d'enfants soldats par la RPA – domaine public
Colloque sur la prévention du recrutement d’enfants soldats par la RPA – domaine public

On ne peut pas effacer d’un trait les atrocités et autres tueries entre voisins, aboutissant à l’extermination de 800 000 à 1 000 000 de personnes soit environ 80 pour cent des Tutsis et de nombreux Hutus, (environ un sixième de la population totale du pays) en quelques semaines.

Vingt ans après, le processus de réconciliation a encore un long chemin à faire.  Pourtant, la volonté politique affichée par le gouvernement commence à donner des fruits. Sur le plan juridique le pays s’est doté d’une Commission nationale pour l’unité et la réconciliation. Créée en 2001, elle avait pour but de promouvoir l’unité, la réconciliation et la cohésion sociale entre les Rwandais et de construire un pays où tout le monde a les mêmes droits et contribuer à la bonne gouvernance.
Susan Thomson, professeur de politique africaine contemporaine aux Five Colleges (Hampshire College, Amherst, États-Unis d’Amérique), écrit dans un article publié sur le site du Cairn :

Sous la férule du RPF, l’État postgénocide a largement contribué à restaurer la paix, l’unité et la réconciliation aux quatre coins du pays. L’appareil d’État rwandais, solide et centralisé, a facilité une reconstruction rapide. À la différence de la plupart des autres États africains, le Rwanda est capable d’exercer son contrôle territorial avec une efficacité extrême. Les institutions de l’État ont été restaurées.

La Rwanda Peace Academy (RPA) a aussi été créée en 2009 avec l’appui du Japon et du Programme des Nations unies pour le développement. Son mandat est de: effectuer des recherches, développer et offrir des cours de formation professionnelle et des programmes éducatifs internationalement reconnus afin de doter l’armée, la police et le personnel civil des compétences nécessaires pour répondre aux défis actuels et futurs complexes de paix et de sécurité en Afrique.

Une des réalisations les plus remarquables du Rwanda a été la promotion de l’égalité des sexes dans de nombreux domaines. Le pourcentage de femmes au parlement rwandais est le plus élevé au monde, avec près de 64 pour cent, d’après le classement établi par l’Organisation internationale des parlements, à la date du 1er février 2014, sur 189 pays.

Louis Michel, ancien ministre belge et commissaire européen, note sur son blog personnel :

Ces résultats sont spectaculaires : en moins de dix ans plus d’un million de personnes ont été sorties de la pauvreté extrême et le pays a enregistré un taux de croissance économique stable de 8% par an. Plus de 95% des enfants ont aujourd’hui accès à un cycle complet d’éducation primaire, la mortalité infantile a été réduite de 61% tandis que les trois quart de la population ont accès à l’eau potable. Enfin, près de 50% des femmes ont accès à un moyen de contraception, ….. Cela fait du Rwanda l’un des très rares pays d’Afrique qui pourra affirmer avoir atteint la quasi-totalité des OMD en 2015.

Commencé en 2001,  le premier plan quinquennal pour le développement des nouvelles technologies a permis de réaliser des progrès significatifs. Au cours de la deuxième phase de ce plan, qui s’est achevé en 2010, le Rwanda a enregistré une croissance du nombre d’utilisateurs de 8 900%, contre 2 450% pour le reste du continent et 444% de moyenne mondiale. Le site africarenewal/fr fait savoir également que quatre divisions du secteur public (ministères, agences, provinces et districts) et près d’un tiers du secteur privé étaient présents sur le Web. Kigali joue, en outre un rôle de premier plan dans la gestion du système de surveillance de la navigation et des télécommunications aérienne dans toute la région.

Partant du principe cher au Président rwandais Paul Kagame selon lequel “Internet est un service d’utilité publique au même titre que l’eau et l’électricité”, en collaboration avec Rwandan Telecentre Network (RTN), le gouvernement a mis au point un plan pour le développement d’Internet dans les zones rurales. Un billet publié sur balancingact-africa.com relève que:

Rwandan Telecentre Network (RTN) s’est rallié aux efforts du gouvernement et s’est engagé à créer un réseau national de 1 000 centres TIC d’ici la fin de 2015 et à former du personnel local.

Toujours dans le domaine de l’accès aux nouvelles technologies, parmi les pays africains participant au programme One Laptop per Child (un portable par enfant), le Rwanda est le plus avancé dans sa réalisation: Selon des informations de Wikipedia mises à jour le 28 avril 2014:

En 2013, 400.000 ordinateurs portables XO-XS ont été distribués.

Les violations des droits humains au Rwanda 

Malheureusement, ce beau travail est gâché par de graves violations des droits humains qui sont rapportées par les organisations militantes. C’est une pratique initiée depuis quelques années. Déjà, en 2012, après avoir envoyé plusieurs missions dans ce pays, Amnesty International dénonçait:

Entre mars 2010 et juin 2012, Amnesty International a rassemblé des informations sur 45 cas de détention illégale et 18 allégations de torture ou d’autres mauvais traitements à Camp Kami, dans le camp militaire de Mukamira et dans des lieux de détention clandestins situés dans la capitale, Kigali. Ces hommes ont été détenus par le J2 durant des périodes allant de 10 jours à neuf mois sans avoir eu accès à des avocats, à des médecins ou à leurs proches.

Des cas d’assassinats d’opposants sont signalés même en dehors du pays.   Des journalistes ou d’anciens dirigeants politiques, qui ont été proches du président rwandais ont été arrêtés ou bien assassinés. Les dernières arrestations se sont vérifiées au début du mois d’avril 2014. Le site arretsurimages.net signale l’arrestation du célèbre chanteur Kizito Mihigo, lui-meme rescapé du génocide rwandais, et trois autres personnes, dont un journaliste, avec l’accusation d’avoir préparé un attentat à la grenade contre un immeuble de Kigali.Pourtant, Kizito Mihigo est connu pour son engagement en faveur de la paix. Il a même fondé une ONG pour l’éducation à la paix. On peut lire sur son blog Kizitomihigo :

Depuis l’année 2003, il a œuvré pour le pardon, la réconciliation et l’unité dans la diaspora rwandaise en Europe. En 2010 quand il est rentré au Rwanda, il a Fondé la Fondation KMP (Kizito Mihigo pour la Paix), une ONG rwandaise qui utilise l’art (musique, theatre poesie, ..) dans l’éducation à la Paix, à la Réconciliation et à la Non-violence après le génocide.

Le chanteur a plaidé coupable, mais de sérieux doutes sont soulevés de toute part sur plusieurs aspects de cette affaire.

D’autre part depuis quelques années les relations diplomatiques de Kigali avec plusieurs pays sont tendues. De pays choyé par l’occident, le Rwanda est entrain de devenir infréquentable et les suppressions de l’aide militaire et au développement se multiplient. Les relations diplomatiques sont tendues avec l’Afrique du Sud, suite aux assassinats d’opposants dans ce pays. Déjà, il y a eu des expulsions de diplomates des deux cotés.

Les 9 blogueurs de Zone9 toujours dans les geôles du régime dictatorial éthiopien

Il y a des peuples auxquels la nature a donné des pays beaux et riches. Malheureusement, au cours de longues périodes de leur histoire des dirigeants despotiques leur confisquent la liberté pendant des générations et des générations. C’est le cas de l’Éthiopie, que certains considèrent comme le berceau de l’humanité, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique et un des premiers pays à avoir des communautés chrétiennes et musulmanes depuis que ces religions ont été révélées. Concernant l’Islam, vers l’an 615 de l’ère chrétienne, le Prophète Mahomet, lui-même y a séjourné fuyant les persécutions à la Mecque, et l’un des compagnons de Mahomet, le premier muezzin Bilal serait originaire d’Éthiopie. De la période des empereurs à nos jours, les éthiopiens ont été victimes de toute sorte d’abus de la part de ses dirigeants.

Dans cet article que j’ai traduit et qui a été publié sous le titre Comment le blogging est maintenu en prison par le pouvoir en Éthiopie, Endalk qui est professeur à l’Université d’Ara Minch, en Éthiopie, nous décrit comment le pouvoir actuel exerce un contrôle strict de l’accès aux services Internet, justifiant ce comportement brutal par la lutte contre le terrorisme.

Une foule dans une rue d'Addis Ababa. Photo de Sam Effron via Wikimedia (CC BY-SA 2.0)

Il faut beaucoup de temps pour aller n’importe où à Addis-Abeba. Le trafic exige que vous soyez patients, énormément. L’utilisation des services de télécommunications de l’Éthiopie exige un niveau de patience similaire. Vous envoyez un texto à quelqu’un que vous êtes censé rencontrer, pour lui faire savoir que vous êtes en retard, probablement à cause d’un embouteillage. Mais vous pourriez arriver bien longtemps avant que le message s’affiche sur le téléphone de votre ami, ce qui pourrait vouloir dire des heures ou même des jours plus tard. En Ethiopie, plus de 40 pour cent des textos ne sont pas livrés à temps, ou tout simplement n’atteignent jamais leur destinataire.

La connexion tombe souvent au beau milieu d’une conversation, et le temps de communication indiqué  sur les cartes de téléphone portable prépayées est généralement moins que ce qui est annoncé. Pendant la saison des pluies, il n’est pas rare de se retrouver dans de longues panne de réseau pendant des heures de suite, même dans la capitale. Dans la première moitié de 2014 seulement, les médias publics ont rapporté que plus de 25 pannes de réseau s’étaient produites à l’échelle nationale.  Et quand les réseaux sont en place, ils sont douloureusement lents : pour télécharger un fichier aussi petit que 2 Mo ou moins sur la norme Gmail peut prendre jusqu’à cinq minutes.

EthioTelecom, la seule société de télécommunications à gestion publique, est passée au moins dans les mains de trois dirigeants ; elle a offert des contrats de plusieurs millions de dollars pour améliorer ses services à des entreprises chinoises et fait depuis 2010 d’innombrables promesses d’améliorer le service “très bientôt”. Malgré des années d’efforts EthioTelecom n’a pu obtenir une couverture médiatique plus favorable, il n’y a eu aucune amélioration majeure dans le service s’il y en a eu. Leur service a empiré.

Pourtant, quand le gouvernement éthiopien veut communiquer avec le public, les services de télécommunications fonctionnent très bien. Un citoyen ordinaire a besoin d’une autorisation officielle pour diffuser un message SMS à plus de 10 personnes, mais dans des occasions comme le 40e anniversaire du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) [fr], célébré le 18 février, d’innombrables Ethiopiens ont reçu de nombreux messages pro-gouvernementaux pour marquer l’occasion.

Le pouvoir exerce également un contrôle strict de l’accès aux services Internet. Salomon, un bon ami à moi, récemment diplômé en sciences politiques, voulait créer un blog personnel avec le nom de domaine de son pays. Il a demandé à acheter un domaine sous .et, mais on lui a dit qu’il avait besoin de s’inscrire comme entreprise pour que l’administrateur général du domaine de l’Etat examine sa demande. Quand Salomon a exprimé sa frustration auprès du service clientèle d’EthioTelecom, un employé a appelé la sécurité qui a obligé Solomon à sortir du bâtiment.

Pourquoi n’y a-t-il qu’un seul fournisseur de services Internet, – qui, en plus, fonctionne mal – pour les 90 millions d’habitants de l’Ethiopie? Nous avons mieux à faire que de le demander à des fonctionnaires. De telles questions seraient considérées comme une tentative de saper la souveraineté nationale, ou de vendre le pays aux capitalistes néolibéraux étrangers.

Horn of Africa map from the UN. Released to public domain.

Le contrôle exercé par l’Etat sur les services de télécommunications de l’Éthiopie est généralement justifié par la préservation de la souveraineté économique du pays. Dans une large mesure, l’Éthiopie exploite sa position d’allié stable des puissances occidentales dans une Corne de l’Afrique volatile. Bordée par le Soudan et l’Érythrée, avec une véritable menace terroriste permanente de la Somalie voisine, le gouvernement peut utiliser la justification abusive de la loi antiterroriste [fr] comme un outil pour supprimer toute velléité de dissidence.

Les services de messagerie mobile ont été suspendus pendant trois ans après l’élection de 2005, la seule véritable élection pluraliste de toute l’histoire politique de la nation. En mai 2011, l’ensemble du pays a été déconnecté de l’Internet mondial pendant des heures, parce que le gouvernement craignait que l’Internet puisse alimenter une “révolution” de style égyptien en Ethiopie. A cette époque, les médias contrôlés par l’Etat ont régulièrement représenté les médias sociaux comme étant “mauvais pour la santé de la société” [fr].

Il y a plus d’un siècle, lorsque l’empereur Ménélik II a relié le palais et la trésorerie par une ligne téléphonique, le son de la voix désincarnée avait effrayé la noblesse et les prêtres. Ils avaient essayé de bannir la ligne téléphonique, la qualifiant de travail des démons. Parfois, c’est comme si les dirigeants actuels avaient ré-adopté ces scénarios en mettant les technologies de télécommunications hors de la portée de la plupart des Ethiopiens et en enveloppant leurs efforts dans une idéologie politique.

Pour les éthiopiens comme mon ami Solomon, qui essaient de s’exprimer en ligne, la punition par l’État ou par EthioTelecom est une habitude. En 2012, avec quelques collègues nous avons commencé un blog collectif appelé Zone9 [fr]. Après seulement trois semaines nous avons découvert que notre blog n’était pas accessible en Ethiopie. Nous n’avions jamais cru que le gouvernement verrait notre blog comme une grave menace politique – nous essayions simplement de former une identité et une voix au sein de la génération de l’après-guerre civile en Ethiopie avec un cœur engagé et une peau épaisse.

Et nous voulions donner à notre gouvernement le bénéfice du doute, en dépit du fait que nous ayons reçu beaucoup de conseils nous décourageant de la part des journalistes qui avaient subi la brutalité du régime de première main. Nous avons refusé d’être récupérés par les différentes forces politiques éthiopiennes, qui ont tendance à être divisées selon des lignes idéologiques, ethniques et religieuses. Notre objectif n’était pas de nous confronter au pouvoir, mais d’utiliser un minuscule espace web de l’Éthiopie pour autant que possible provoquer de véritables débats publics au niveau local. Nous écrivions à propos de questions d’intérêt public.

Dans le but d’allonger la vie de nos blogs, nous avons essayé de généraliser notre critique, plutôt que de nous concentrer sur des actes répréhensibles spécifiques du gouvernement. En l’espace de quelques mois, nous avons lancé plus de dix blogs, se déplaçant à chaque fois, pour peaufiner leurs adresses Web afin de contourner la censure. Nous changions alternativement les plates-formes de Blogger à WordPress et retour à Blogger. C’était bien sûr une mauvaise stratégie de médias numériques, mais il ne s’agissait pas d’un jeu d’enfants. Et puis nous avons dépassé la limite. Cela a abouti à ce que certains d’entre nous soient battus par la police et accusés d’incitation à la violence, et même de terrorisme. C’est ce qui est arrivé à neuf de mes amis, qui souffrent actuellement dans les prisons à Addis-Abeba [fr].

Nous avons appris que nous avions tort de supposer que le gouvernement ne nous aurait pas touchés, qu’il connaissait nos vulnérabilités et ne nous aurait pas arrêtés. La chose la plus importante que nous avons faite a été de demander au pouvoir de commencer à respecter la constitution du pays et de résoudre les problèmes des services de télécommunications, comme ceux que j’ai décrits au début de ce billet. Nos campagnes ont réussi à attirer beaucoup d’internautes de la relativement petite communauté de la blogosphère éthiopienne, mais nos activités n’ont jamais été criminelles.

Dans l’acte d’accusation [fr] de mes collègues, le procureur a présenté une transcription complète des conversations téléphoniques sur écoute que j’avais eues avec mes amis quand j’étais encore en Ethiopie, comme preuves du “crime” que nous avions commis. Ils ont enregistré des conversations téléphoniques que nous avions sur nos vies privées, à propos de notre formation en matière de sécurité numérique, et tout le reste. Le gouvernement nous a accusés de collaborer avec les groupes politiques dont nous avions été ouvertement critiques.

Les blogueurs de Zone9 tentaient tout simplement de titiller un peu l’agence à travers l’Internet. Mais, nous sommes maintenant pris au piège entre les cercles locaux de pouvoir avides de ceux qui dirigent le gouvernement éthiopien et utilisent la rhétorique mondiale de l’anti-terrorisme pour écraser tout ce qu’ils craignent susceptible de menacer leur pouvoir et leur stabilité de leaders. Pendant ce temps, près d’un an après leur arrestation, mes amis continuent à vivre derrière les barreaux, avec peu de possibilité de voir leurs familles, sans accès au monde extérieur ni aucune justification juridique claire pour leur maintien en détention.

Ce billet a remporté le troisième prix dans la compétition #SommetGV2015, Participez au concours GV et envoyez votre article sur l’impact chez vous des politiques de l’Internet Endalk Chala est un étudiant de doctorat en Études des médias à l’Université de l’Oregon et un des membres fondateurs du collectif blogging Zone9 en Éthiopie. Il a rejoint Global Voices en 2011.

Colonel Kaman Diaby, Fodéba Keita, Diawadou Barry et Karim Fofana, trahis et humiliés par Sékou Touré

Le livre du Lieutenant-colonel Camara Kaba 41 intitulé Dans la Guinée de Sékou Touré : cela a bien.

Barry Diawadou, trahi par l’amour de la liberté de son peuple et son honnêteté sans faille, au milieu de tant de fripouilles. Source: webguinee.net

eu lieu, publié par L’Harmattan en 1998 dans la série  Mémoires Africaines, est une mine d’informations par la variété des informations et la qualité de l’écriture, sur l’horrible période de la dictature de Sékou Touré et de sa bande de tueurs.  

Alpha M Diallo a extrait de ce livre une page des plus douloureuses qu’il a publiée sur sa page Facebook. Le morceau choisi se concentre sur la manière dont ont été sacrifiés des personnalités qui ont été des protagonistes dans la lutte pour l’indépendance de la Guinée et qui ont oeuvré sans relâche pour résoudre les nombreuses difficultés que le brusque départ des cadres coloniaux a créées dont Keita Fodéba, Barry Diawadou, Fofana Karim et Kaman Diaby. Dans un article qui suivra, je présenterai les réactions suscitées par cette horreur et les souvenirs d’intervenants qui ont connu ces personnalités.

Bonne lecture:

Sur son retour en Guinée 27 mai 1969. Après un faux procès largement instruit par Mamadi Keita et Fadiala Keita, Colonel Kaman Diaby, Fodeba Keita, Diawadou Barry, Karim Fofana, etc. furent contraints de creuser leur tombe avant d’être mitraillés par le peloton d’assassins dirigé par Siaka Touré, lui-même agissant sur ordres de Sékou Touré. [T. S. Bah, Directeur du Mémorial online campboiro.org] 

« Fodéba qui n’avait jamais tenu une houe dans sa main, tint une pioche et une pelle pour creuser sa tombe ; à sa droite, Barry Diawadou creusait la sienne. Les condamnés à mort creusaient leur dernière demeure en pleurant. La nuit était d’encre, les phares des camions, qui les avaient transportés là, trouaient la nuit pour leur permettre de travailler tout en éclairant leur peur. Au bas de la montagne, l’air était plutôt froid mais eux ne sentaient rien. Devant eux et derrière eux, les baïonnettes des pistolets mitrailleurs soviétiques brillaient dans la nuit comme le ventre des poissons qui se retournent dans l’eau de la rivière. Mêlé aux sanglots, on pouvait percevoir le murmure des versets du Coran. Ils étaient tous en tenue bleue de chauffe des détenus. Ils étaient méconnaissables avec leur maigreur extrême et surtout avec leur barbe de plusieurs mois. A gauche de Fodéba, son ami Fofana Karim, ministre des Mines et de la Géologie. Kaman était à l’extrême droite. Il creusait sa tombe sous les baïonnettes de ses soldats d’hier. Depuis 2 heures du matin, ces infortunés creusent. A 4 heures 15 le trou du plus vaillant arrivait tout juste à ses genoux.

— C’est pas fini non ? cria un officier d’escorte.

Pas de réponse, il passa devant chacun, inspecta, tempêta, injuria puis ordonna:
— Reliez vos trous !
Fodéba pleurait ; il regarda Diawadou qui cessa de creuser et qui récitait toujours son Yaasin , un long verset du Coran. Keita Fodéba relia son trou à celui de Diawadou avec quelques coups maladroits de la pioche, puis parla :

Le Colonel Kaman Diaby, chef d'état-major adjoint, respecté et craint au sein de l'armée, assassiné par Sékou Touré pour prévenir de faire la fin de Modibo Keita. Source: campboiro.org
Le Colonel Kaman Diaby, chef d’état-major adjoint, respecté et craint au sein de l’armée, assassiné par Sékou Touré pour prévenir de faire la fin de Modibo Keita. Source: campboiro.org

— Ce qui est passé est passé. Tu étais du BAG et moi du RDA. C’est de la politique. Toi et moi sommes maintenant devant Dieu, c’est-à-dire devant la mort ; nous devons nous pardonner nos erreurs d’hier. Vois-tu, nous avons la même tombe. Donnons-nous la main. Tiens, voici la mienne.

Fodéba tendit sa main, Diawadou la refusa et c’est à ce moment que les rafales partirent. Chaque tireur, comme pour s’amuser, vida son chargeur au jugé. Presque tous les corps furent projetés par derrière, en dehors du trou. Un membre du BPN, comme toujours, passa au contrôle, suivi par l’officier qui commandait l’expédition. L’homme politique, lui, supervise et doit rendre compte après à Sékou qui dira un jour : « je n’étais pas seul ». Chaque exécution, de 1959 à 1980, est toujours supervisée par un haut cadre du Parti ou de l’Etat.

Le contrôle fut long. Le nombre de cadavres devait correspondre au chiffre qu’il avait sur le papier , il avait le coeur serré et les pieds pesants, le membre du BPN. Il connaissait parfaitement chacun d’eux. Les corps déchiquetés de ses frères, amis ou camarades étaient là sous ses yeux comme s’ils n’avaient jamais existé. Par routine, il devait donner le coup de grâce mais, par oubli ou manquant de coeur, il ne le fit pas. Son gros pistolet de marque soviétique lui glissait de la main, de sa main pleine de sueur. Il tendit l’arme à l’officier qui le suivait. Ce dernier la prit sans poser de question. Toute question était inutile. Chacun des corps était sans souffle et si le ministre membre du BPN avait là ses amis, lui aussi avait les siens, supérieurs et inférieurs. Leur mission à eux deux était plutôt ingrate, pénible, déchirante, mais l’ordre donné devait être exécuté, se disait-il. Arrivé devant ce qui restait de Keita Fodéba et de Barry Diawadou, le membre du BPN resta plus longuement qu’il ne l’avait fait devant ceux des autres assassinés : Barry Diawadou avait sa tête sur la poitrine de Fodéba dans cette position de deux amants endormis, épuisés d’étreintes ; Fodéba le visage tourné vers le ciel, celui de Diawadou vers la terre.

— Ils furent de grands hommes, prononça le membre du BPN comme pour lui-même. L’officier à ses côtés l’entendit et dit à son tour :
— Tous ceux qui sont là furent grands, n’est-ce pas ?

Le ministre à cette réplique tenta de se ressaisir. Il se raidit, bredouilla mais sa voix le trahissaitUn des plus grands artistes et poètes qui a fait briller la culture guinéenne à travers le monde, bien avant l'indépendance, lui aussi trahi par Sékou Touré. Source  wikipedia.org Un des plus grands artistes et poètes qui a fait briller la culture guinéenne à travers le monde, bien avant l’indépendance, lui aussi trahi par Sékou Touré. Source wikipedia.org; elle avait refusé de quitter sa poitrine pour le suivre dans la reconquête de sa personne. Ils quittèrent enfin les deux cadavres et poursuivirent leur contrôle, mettant un petit trait devant le nom de chaque abattu en s’éclairant d’une torche de poche.

Les phares des camions et ceux de la jeep de commandement trouaient toujours la nuit. Les soldats tireurs étaient derrière eux et ne parlaient pas. Imperceptiblement, le jour grignotait la nuit. Le contrôle terminé, le membre du BPN donna l’ordre de fermer la longue fosse commune.

— Enterrez ! commanda l’officier.

A peine les corvéables se saisirent-ils des pelles qu’un vent formidable se leva et roula sur tout le bas de la montagne comme pour rendre, à la place des humains, un dernier hommage à ces hommes qu’on ensevelissait là, ces hommes qui ont dit non à la domination étrangère, pour dire oui à une Guinée libre, heureuse, ces hommes qui ont fait de longues et bonnes études, qui ont sacrifié leur biens, leurs familles pour que la Guinée vive et prospère, à ces hommes, dis-je, qui nuit et jour, sous le soleil et sous la pluie, ont donné plus que le meilleur d’eux-mêmes à Sékou et à sa prétendue « Révolution » et qui ont piteusement perdu leur vie sans l’avoir pleinement vécue. Aucun d’entre eux, à part Barry Diawadou, n’avait ses 50 ans. »