Guinée: Les premières heures de l’agression portugaise du 22 novembre 1970

Le gouvernement guinéen en 1963. Source: fbcdn-sphotos sur la page Facebook de
Le gouvernement guinéen en 1963. Source: fbcdn-sphotos sur la page Facebook de

A l’occasion du 22 novembre 2013, anniversaire de l’agression portugaise de 1970, je propose une relecture de ce billet qui fut parmi les premiers que j’ai publiés dans cette série historique pour une meilleure connaissance de ce qui s’est passé dans dans notre pays sous la dictature et que tous les régimes suivants ont tenté de couvrir de mensonges. 

 Je connais le proverbe selon lequel on pouvait faire voir à un aveugle, mais pas à quelqu’un qui ne veut pas voir. je continue à publier des extraits des livres écrits par des victimes du régime sanguinaire de Sékou Touré. Mon but est d’aider aux jeunes qui veulent connaitre les crimes odieux de ce dictateur que de nombreux guinéens continuent à considérer comme un héros. Aujourd’hui, j’ai choisi de vous présenter les premières heures de l’agression portugaise contre la Guinée, telles que décrites par le doyen Alpha Abdoulaye Diallo ‘Portos’ dans son livre La vérité du ministre. Dix ans dans les geôles de Sékou Touré. Ce livre a été publié du vivant de M. Portos et de certains des témoins cités dans le livre, telle que Mme Andrée Touré, épouse du dictateur et Mamadou Barry dit Petit Barry, mais personne n’a encore porté plainte contre lui pour une éventuelle déformation des faits tels qu’il les décrit.

Alors que la ville est plongée dans une obscurité totale, la présidence est illuminée comme si c’était le 2 octobre, jour anniversaire de l’indépendance nationale. Le portail s’ouvre et nous montons quatre à quatre les escaliers menant au petit salon et au bureau du président Sékou Touré. Celui-ci, grave, répond au téléphone. En face de lui, Saïfoulaye et Béavogui. Sur le divan au fond de la pièce, la présidente Andrée Touré, émue, en robe de chambre. A côté Fily Cissoko. Sans saluer, nous nous asseyons à notre tour. Il règne un silence lourd, lugubre, interrompu par la sonnerie du téléphone et la voix du « responsable suprême de la révolution ». Dans le lointain, résonnent des coups de feu, des éclats d’obus et de grenades.

D’autres membres du gouvernement nous rejoignent dont Savané Moricandian, ministre des Transports (arrêté en 1971 et exécuté dans la nuit du 17 au 18 octobre 1971) et Barry Ibrahima (Barry III), ministre du Contrôle financier (arrêté en décembre 1970 et pendu au pont du 8 novembre à Conakry, le 25 janvier 1971).

Nous finissons par savoir que nous sommes victimes d’une agression de la part du Portugal.
Au bout de quelque temps, je me lève :
— « Nous ne pouvons pas rester assis comme cela, à ne rien faire…
— Je l’ai déjà dit, murmure la présidente.
— Que pouvons-nous faire ? reprend Béa.
— Téléphoner à Kindia et demander des renforts.
— La ligne de Kindia ne marche pas. Nous avons déjà essayé, répond Fily.
— Nous pouvons passer par Fria qui contactera Kindia. »

Je m’empare du téléphone et, par l’intermédiaire du standardiste de la poste, j’obtiens Fria en priorité absolue. J’informe de la situation le secrétaire général de la région de Fria, Bah Amadou Yayé et lui demande de saisir le ministre-délégué de Kindia pour qu’il nous envoie des renforts. Je passe l’écouteur à Saïfoulaye pour confirmation de ces instructions.
Je reprends aussitôt :
— « Le président ne peut pas rester ici ! Présidente, avez-vous un ami en ville et qui ait le téléphone ?
— Oui. »
Elle réfléchit un peu, hésite, veut parler. Je l’interromps :
— « Ne dites pas de nom. Allez vous habiller, Président, préparez-vous aussi. »

Ce dernier revient habillé de blanc. Je lui dis :
— « Vous ne pouvez pas rester en blanc : vous seriez une cible trop facile pour n’importe quel tireur, posté n’importe où… »
Il retourne dans sa chambre, met sur sa tenue blanche une veste marron, revêt un calot de même couleur. Un cortège se forme, composé du président, de la présidente, du ministre Béavogui, de Fily Cissoko. Je dis à ce dernier :
— « En arrivant, tu téléphoneras à la poste pour faire changer le numéro de téléphone de l’ami chez lequel vous vous rendez. Tu nous communiqueras le nouveau numéro. Je vais saisir la poste pour leur dire que tu les appelleras pour effectuer un travail urgent.»

Tous s’embarquent dans une « Ami 6 » de la présidence conduite par le chauffeur du président, Morlaye Camara, et disparaissent pour une destination inconnue. Plus tard, Fily nous communiquera le numéro de téléphone de leur refuge et Béa nous rejoindra à la présidence. J’apprendrai par la suite que le président s’est réfugié d’abord à Almamya (Conakry I), chez Mme veuve Guichard, mère du directeur général des Services de sécurité, Guy Guichard. Puis à Dixinn-Gare (Conakry Il), chez Hadja Néné Gallé Barry dont l’époux, Thierno Ibrahima Bah (Dalaba), sera arrêté et fusillé avec son frère, El Hadj Bademba, au cours de la seconde vague d’arrestations.
Nous nous organisons au mieux. Le ministre d’Etat Diallo Saïfoulaye, assis devant le bureau du président, répond aux différents appels téléphoniques et notamment à celui du président Félix Houphouët-Boigny, de Côte d’Ivoire, à qui Saïfoulaye raconte que Sékou se trouve sous la douche. Le président ivoirien se propose d’envoyer immédiatement à Conakry une délégation pour apporter à la Guinée son soutien et sa sympathie.

Sékou Touré rejette l’idée et recommande à Saïfoulaye de demander à Houphouët un message de soutien et de sympathie. Cela suffira. Selon lui, la délégation n’aurait en effet d’autre but que de se renseigner pour le compte de l’impérialisme international. Saïfoulaye rappelle le président ivoirien pour l’en informer.

De mon côté, installé dans le salon attenant au bureau du président qui, jusqu’à sa rénovation, servait de salle de Conseil des ministres avant d’être transformé en salle d’attente et de conférence pour le président, je communique directement à la poste des messages d’information destinés aux chefs d’Etat africains, au secrétaire général de l’O.N.U. et au secrétaire général de l’O.U.A. Je réponds aux multiples coups de téléphone qui viennent d’Afrique, d’Europe et d’Amérique.

J’entre en contact avec les permanences fédérales de Conakry I et Il que je baptise « Etat-Major » de Conakry I et II alors que la présidence devient le « Haut-Commandement ». En même temps, je saisis le capitaine Sylla Ibrahima, responsable de l’aviation militaire et qui deviendra par la suite chef de l’état-major de l’armée de l’Air avec le grade de commandant.
— « Tu connais la situation, pourquoi ne faites-vous pas voler les Migs pour aider à la défense ? D’ici nous apercevons les bateaux et les péniches de débarquement des mercenaires.
— Tous les Migs sont en panne.
— Il faut faire quelque chose pour en dépanner au moins un.
— Nous allons essayer.
— Et l’hélicoptère présidentiel, est-il en état de voler?
— Oui, je crois.
— Alors, faites-le décoller, qu’il survole la ville et qu’il aille atterrir à l’intérieur, à Kindia, Forecariah, où vous voudrez. »
Dans mon esprit, le vol de l’hélicoptère donnerait aux agresseurs le sentiment que le président a quitté la ville, et qu’ils ont échoué dans leur tentative.

Je téléphone à Barry Mamadou, directeur de la chaîne internationale de la Voix de la Révolution. En quelques mots, je lui fais part de la situation. Il improvisera à cette occasion un brillant éditorial.

M’adressant au ministre Saïfoulaye, je lui suggère que le président lance un appel au peuple. Je me rends à la Radio où j’enregistre une déclaration improvisée à l’adresse de la J.R.D.A., la jeunesse guinéenne. Hadja Mafori Bangoura, présidente des femmes du P.D.G.-R.D.A. en fera de même à l’intention des femmes de Guinée. Au lever du jour, vers 6 heures du matin, pour moi l’agression a échoué.
Dans la matinée, je fais un tour en ville. Malgré les coups de feu, sporadiques par-ci, nourris par-là, la vie continue, et la population, indifférente à ce qui se passe, vaque presque normalement à ses occupations. Les fanatiques du jeu de dames sont à leurs lieux de rendez-vous habituels.

Je prends contact avec un certain nombre d’amis pour préparer la retraite de notre groupe. Nous ne devions pas passer la nuit au Palais. J’en avais déjà touché un mot au ministre d’Etat Saïfoulaye. Il ne me répondit rien. Puis plus tard aux environs de 20 heures, il me lança :
— « Au fond, tu m’avais dit qu’on ne devrait pas rester ici. Où veux-tu que nous allions ?
— Je ne peux pas vous le dire. Si vous me faites confiance, je prends l’engagement d’assurer la sécurité de notre petit groupe aussi longtemps que cela sera nécessaire. »
Il réfléchit un temps :
— « Bien. Nous te suivons. »

Notre cortège, composé d’El Hadj Saïfoulaye Diallo, Ben Dadouda Touré, alors ambassadeur à Freetown, Baba Kourouma, gouverneur de Conakry, quitte la présidence, à bord de la même Ami 6 qui, tôt le matin, avait emporté le président. Une semaine durant, je me chargeai de la sécurité de ce groupe, changeant régulièrement de cachette. Nous partons tous les jours de la présidence, aux environs de 21 heures, pour y revenir vers 5 heures du matin.

Un jour, alors que la tempête s’est apaisée, je préviens le ministre d’Etat, El Hadj Saïfoulaye Diallo, des informations qui m’étaient parvenues :
— « Attention, dans le groupe d’Ismaël on commence à faire courir le bruit que cette agression est une affaire peuhle, ce qui est extrêmement dangereux. Si les Peuhls sont plus nombreux parmi les envahisseurs, c’est parce que la communauté des chômeurs Peuhls est la plus nombreuse à Dakar où le recrutement a été fait. »
Le ministre d’Etat semble méditer et me répond :
— « J’en prends bonne note et je m’en occupe.»

Cette agression, réelle, fut une occasion pour le dictateur d’intensifier la terreur dans le pays. Des milliers de personnes innocentes furent arrêtées, torturées, emprisonnées et tuées. Nous y reviendrons. La liste des victimes commença à s’enrichir immédiatement. 

Guinée: Il y a 36 ans, la « révolution » secouée par la révolte des femmes

Kissidougou market on a quiet day.
Le marché de Kissidougou. Photo crédit: Wikipedia

A la mémoire des nombreuses victimes innocentes de la répression contre la révolte des femmes de 1977, je vais publier aujourd’hui un billet extrait du livre du Professeur Ibrahima Kaké, agrégé d’histoire, disparu en 1994 qui a contribué à faire connaitre un peu plus l’histoire africaine. On pouvait l’écouter sur RFI et sur les vols de la compagnie multinationale « Air Afrique » est auteur de nombreuses publications dont Sékou Touré: Le Héros et le Tyran.

La persécution et les tentatives d’assassinat à Paris dont cet éminent fils de notre pays a été victime montre la stupidité du régime dictatorial de Sékou Touré et de sa bande de tueurs qui avaient pris en otage toute notre population, transformant le pays en un goulag à ciel ouvert.

En ces jours-ci, dans les années ’70 le pouvoir sanguinaire de Sékou Touré avait mis l’économie du pays complètement à genoux. La production de riz, denrée alimentaire de base des Guinéens était passée de 282 700 tonnes en 1957—veille de l’indépendance—à moins de 30 000 tonnes. Le peuple souffrait d’une faim chronique, les denrées et divers condiments étaient rationnés. Dans les hôpitaux, où on était soigné par d’anciens infirmiers promus docteurs en médecine par décret présidentiel, les malades devaient apporter de chez eux une bassine d’eau et la nourriture. Les prescriptions médicales devaient comporter le choix entre plusieurs médicaments car les pharmacies étant mal approvisionnées, on ne savait pas ce qu’elles avaient. Les médecins devaient faire ainsi car si le malade ne trouvaient pas de médicaments, ils étaient accusés de créer eux la pénurie et ils pouvaient être taxés de saboteurs de la révolution.

Femmes guinéennes, la seule force qui a eu le courage de se révolter contre les violences de sékou Touré. Photo publiée sur la page L’UNITE GUINEENNE 224

Tout a commencé à NZérékoré:

Les agents de la police économique sont arrivés un matin au marché avec l’intention de faire respecter la décision d’interdiction du commerce privé. Mal leur en prend: la première marchande menacée de la saisie de son maigre étalage s’insurge contre l’autorité de ces sans-parents . Elle appelle ses compagnes à la rescousse, réclamant la liberté et le bien-être plutôt que l’esclavage et la misère . Elle est entendue et réussit à mobiliser une petite foule pour la soutenir. Les miliciens, surpris par la violence de la réaction de ces femmes, doivent se replier, laissant sur le terrain deux morts et plusieurs blessés gravement atteints. Enhardies par leur victoire, les commerçantes décidèrent alors de marcher sur les résidences du gouverneur et du ministre du Développement rural de la région. Appuyées par la population de Nzérékoré et des localités proches, les femmes obligent le gouverneur à prendre la fuite dans la forêt voisine et le ministre à se réfugier dans l’enceinte du camp militaire de la ville. On dira plus tard que ces femmes avaient été manipulées…

Sékou Touré, décidé à rétablir l’ordre à tout prix, et qui ne songe nullement, bien entendu, à modifier sa politique économique, dépêche bientôt plusieurs unités de l’armée pour mâter la rébellion; mais l’armée refuse de faire usage de ses armes contre les femmes. Treize des militaires qui avaient refusé de tirer seront fusillés, dès leur retour à Conakry, pour incitation de leurs camarades à la révolte.

C’est qu’entre temps, le soulèvement fait tache d’huile. Le mouvement, avec encore plus de violence, embrase Macenta, Gueckédou, Kissidougou, Beyla, jusqu’à atteindre une partie de la Haute-Guinée, notamment Kankan, deuxième ville du pays. Toujours conduit par des femmes, toujours dirigé contre la pénurie, il s’agit moins d’un mouvement politique organisé que d’une immense clameur contre la misère et la tyrannie.

… Les incidents devaient fatalement toucher Conakry. C’est au marché Mbalia qu’ils éclatent au matin du 27 août,

Le marché de Kankan. Photo publiée par le groupe Facebook de L'UNITE GUINEENNE 224
Le marché de Kankan. Photo publiée par le groupe Facebook de L’UNITE GUINEENNE 224

quand un membre de la police économique exige de vérifier le contenu du sac d’une ménagère. Déjà excédée de n’avoir pas trouvé au marché de quoi nourrir sa famille, la femme se jette sur le policier en ameutant tout le quartier. Les vendeuses se précipitent au secours de la ménagère et d’autres policiers viennent prêter main forte à leur collègue. Rapidement submergés par le nombre, les policiers doivent abandonner le terrain. Les femmes, alors, s’organisent en cortège, entonnant un chant improvisé contre la police économique. Elles marchent sur les postes de police, qu’elles saccagent de fond en comble, ainsi que sur le siège central de la police économique, avant de décider de se diriger vers la présidence, à quelques centaines de mètres de là. Elles drainent maintenant dans leur sillage tout ce que la capitale compte de femmes. C’est une scène tellement ahurissante que de voir ces dix ou quinze mille manifestantes en colère dans les rues de Conakry que les militaires du camp Samori, devant lequel elles passent, ne tentent pas de les arrêter. Elles franchissent de même sans résistance les portes du palais présidentiel, pourtant gardées par les redoutables membres du Service de la sécurité présidentielle (SSP) que les Guinéens, allez savoir pourquoi, surnommaient les SS .

Ces mesures ne devaient pourtant pas entamer la détermination des femmes. Dès le lendemain, à l’aube du lundi 29 août, une nouvelle marche se forme, en direction de la présidence. Au passage, les manifestantes tentent en vain de délivrer leurs compagnes arrêtées la veille, qu’elles croient internées au camp Boiro. Plus loin, à la hauteur du marché central, Condé Toya a fait barrer la grande artère qui mène à la présidence par un peloton de chars. Une épaisse ligne rouge a été tracée sur toute la largeur de la voie. Quiconque la franchira sera abattu sans sommation.

Les femmes, une fois de plus, vont manifester un courage inouï: elles passent outre à l’ultimatum et continuent leur progression vers la présidence. Elles n’iront pas loin. A 200 mètres de là, l’armée tire dans le tas. On ne saura jamais le nombre exact des victimes du 29 août. Le chiffre de soixante morts et de trois cents blessés est celui, en recoupant les témoignages, qui semble le plus proche de la réalité. La révolte, à Conakry, a été enfin matée et Sékou Touré règne toujours sur la Guinée. Mais dans quel état ?

Pendant dix jours, le dictateur va rester terré, sans oser apparaître en public, sans manifester sa présence, ne serait-ce que par le canal d’un message radiodiffusé, au grand dam des observateurs étrangers. Certaines rumeurs font état de son suicide. En fait, s’il ne s’est pas suicidé, quelque chose s’est brisé en Sékou Touré. Le fils chéri de l’Afrique, comme il aime se faire surnommer, n’est d’ailleurs pas encore certain d’en avoir terminé avec ces matrones qui lui ont infligé la plus grande humiliation de sa longue carrière politique. On l’informe qu’à l’exemple de Conakry, Kindia, troisième ville du pays, s’est à son tour soulevée contre l’autorité, ainsi que Forécariah, qui tiendra onze jours contre la force armée, et le centre minier de Fria, où les femmes se sont emparées du poste de police pour en délivrer tous les prisonniers.

La révolte des femmes va se prolonger, sporadiquement, jusqu’au 7 septembre, touchant une trentaine de villes et de bourgades. Ce n’est que le 15 septembre que le gouvernement et le parti seront enfin en mesure d’organiser une première manifestation de soutien au camarade stratège à Conakry. On inaugurera d’ailleurs, à l’occasion, une manière inédite de mobiliser les masses: 

On allait, raconte un témoin, réveiller les pères de famille à une heure tardive de la nuit, quartier par quartier, pour leur demander s’ils étaient pour ou contre la révolution. Ils ne risquaient pas de dire non. Mais dès qu’ils avaient répondu oui, on leur demandait de nous dicter séance tenante les noms de toutes les personnes dont ils avaient la charge. Une fois la liste dressée, ils recevaient l’ordre de se retrouver à tel endroit et à telle heure avec toutes les personnes figurant sur la liste qu’ils venaient de dicter, sous leur responsabilité.

Merci doyen Ibrahima Baba Kaké, nous te serons toujours reconnaissants de n’avoir jamais accepté de te soumettre aux abus de cette calamité que fut ce régime sanguinaire.

Guinée: Sékou Touré, sorcellerie et sacrifices humains

Dans le billet d’aujourd’hui sur la période de la terreur en Guinée, je vais vous fournir des éléments de réflexion sur certains faits que nous aurions voulu ne se soient jamais passés en Guinée: la pratique de la sorcellerie et des sacrifices humains. Pendant toute la période de la dictature, les membres du pouvoir, en premier lieu le Président Ahmed Sékou Touré ont pratiqué cette barbarie.

La plus étonnante révélation de la pratique de sacrifices humains faits par Sékou Touré nous vient de son successeur actuel, à la tête de la Guinée, Alpha Condé. Dans un livre publié en 1972, intitulé Guinée : Albanie d’Afrique ou néo-colonie américaine ?, il écrit d’après une citation de Lamarana Petty Diallo sur guinea-forum.org:

« La société guinéenne a conservé la plupart des superstitions des anciennes sociétés. Les sacrifices humains, séquelles de la société patriarcale, n’ont pas totalement disparu. C’est ainsi que M .Sékou Touré, sous prétexte de lutter contre la corruption, a fait fusiller deux voleurs pour l’exemple; la rumeur publique donna une tout autre interprétation à cet acte le « Karamoko » (c’est-à-dire le féticheur) lui aurait prescrit, avant d’entreprendre son grand périple mondial, de… faire sacrifier deux hommes. Dans l’esprit des masses, c’était donc moins la lutte contre le vol qu’un sacrifice humain. En 1968, deux faits scandaleux se produisent en Guinée. Le premier se situe dans la région de N’Zérékoré où, à la suite de la mort d’un grand notable, il est procédé à un sacrifice humain. Parmi ceux qui font ce sacrifice se trouve un responsable fédéral ». pp. 198- 199.

Pratiquai-t-il des sacrifices humains? Plusieurs faits le laissent supposer, d'après des sources dignes de foi. Source de l'image: guineepresse.info
Pratiquait-il des sacrifices humains? Plusieurs faits le laissent supposer, d’après des sources dignes de foi. Source de l’image: guineepresse.info

Le Lieutenant-colonel Camara Kaba 41, dans son livre intitulé  Dans la Guinée de Sékou Touré : cela a bien eu lieu, que j’ai déjà cité dans le billet Guinée: La » confession » de Saran, a écrit:

Ce n’est pas Sékou seulement qui pratique le sacrifice humain, mais aussi ses hommes de main et cela, du comité de base au sommet de la hiérarchie politique et même administrative, dans la conviction profonde d’être maintenus à leur poste. C’est ainsi qu’à travers tout le pays, au cours des ans, on a trouvé par-ci, par-là, des corps de femmes, d’hommes et d’enfants mutilés ; après quoi on accusait des tueurs venus de Sierra Léone, de Monrovia ou de Côte d’Ivoire.

René Gomez, dont le livre Camp Boiro: Parler ou périr a servi pour le premier billet que j’ai publié sur mon blog dans cette série d’articles que j’ai décidé de publier pour faire connaitre les témoignages des survivants des camps de concentration que le système totalitaire avait érigé dans tout le pays, se demande si l’irrationnel n’expliquait pas la soif de sang du tyran Sékou Touré. Il signale plusieurs faits troublants inexplicables rationnellement.

Le Professeur Djibril Tamsir Niane, est lui aussi un survivant du camp Boiro. En effet, cet éminent historien avait été condamné lors du troisième « complot » dit des enseignants. voir le billet précédent en cliquant ici. Dans sa préface à ce livre a écrit:

Sékou Touré a-t-il succombé à l’irrationnel ? On ne peut nier l’influence des fétichistes et des marabouts. Mais cela n’explique pas tout ; il y a qu’un système a été mis en place à partir d’une idéologie, une machine implacable s’est mise en marche. Comment expliquer l’acharnement contre une ethnie: les Peuls ?

Un citoyen allemand Adolf Marx qui était directeur de l’unique brasserie du pays, fait partie des nombreux étrangers, européens, libanais, africains et membre de la diaspora africaine qui étaient venus en Guinée pour aider le jeune état indépendant. Il fut arrêté en décembre 1970 et condamné à mort. Sékou Touré subit de nombreuses pressions afin de le libérer: gouvernement de l’Allemagne fédérale directement et par l’intermédiaire de l’ONU, diplomates italiens, le Président des États-Unis Richard Nixon, le Premier ministre indien Mme Indira Gandhi, le Ministre des affaires étrangères soviétique Andrej Gromyko, le Pape Paul VI et des chefs d’état africains,

Dans le livre que Marx a écrit, intitulé Maudits soient ceux qui nous oublient, publié en 1976, il révèle combien Sékou Touré avait peur de subir le mauvais sort, au point de recourir aux pratiques de sorcellerie et aux sacrifices humains:

La première fois que j’ai entendu parler de ces sacrifices humains, et ce de la bouche même d’un des proches collaborateurs de Sékou Touré, je n’ai pas voulu y croire. Une telle chose me choque et me bouleverse. Mais quand je pense que des innocents meurent à petit feu dans des camps de concentration où ils ont été enfermés pour des délits politiques inventés de toutes pièces, et que cela a pour but de servir d’avertissement à la population guinéenne, ces sacrifices humains peuvent paraître relativement peu barbares.

…. Tout le monde sait que les grands dignitaires du régime accomplissent des sacrifices humains à l’intérieur du pays pour s’assurer santé, bonheur et postes plus élevés. Certains, même, ne craignent pas de tuer des membres de leur famille quand ces derniers sont malades ou bien pauvres.

Parlant du noyau central du système sanguinaire que Sékou Touré avait constitué autour de soiMaurice Jeanjean décrit dans son livre Sékou Touré : un totalitarisme africain, les sales besognes dont chacun d’eux était chargé:

Il faut aussi signaler El Hadj Sindkoun Kaba, 3ème mari de la mère d’Andrée Kaissa Kourouma (épouse du tyran, ndlr), qui occupa pendant de nombreuses années le poste de secrétaire général de la présidence où il avait la responsabilité des relations avec les marabouts et féticheurs auxquels avait recours Sékou Touré. Dans ce domaine, Lamine Béavogui, père du ministre immuable Béavogui Louis Lansana, aurait été le grand prêtre des sacrifices humains que beaucoup prêtent à Sékou Touré

Des hôtes de l'ONG Guinée-Solidarité, créée sur initiative de Nadine Bari pour forger un avenir pour les handicapés guinéens. Photo fournie par elle-même
Des hôtes de l’ONG Guinée-Solidarité, créée sur initiative de Nadine Bari pour forger un avenir pour les handicapés guinéens. Photo fournie par elle-même

Le site bourlingueurs.com écrit dans VOYAGE AFRIQUE DE L’OUES THIVER 2004-05:

Ames sensibles s’abstenir : comble de l’horreur, la Cité de la Solidarité servait, sous Sékou Touré, de vivier pour les sacrifices humains que faisaient les dirigeants fidèles aux rites animistes !! Les sacrifices rituels en Afrique s’inscrivaient à l’origine dans un contexte religieux, sacré même ! On nous a même raconté comment un ancien dirigeant politique avait personnellement fait immoler un homme afin d’en recueillir la graisse pour la fabrication d’un talisman !! On imagine facilement la panique qui s’emparait des habitants de la Cité lorsque, à la nuit tombée, ils entendaient arriver une jeep, qui venait chercher un « sacrifié » !!!

Et ajoute en citant un passage du livre de Nadine Bari livre Noces d’Absence, parlant des habitants de la cité Solidarité auxquels, elle se dédie depuis des années:

« Ils savaient tous qu’on venait chercher un borgne, un boiteux ou un albinos pour le Responsable Suprême ou l’un de ses sbires. Nombreux étaient les handicapés qui ne passaient plus la nuit chez eux pour ne pas se trouver là au moment où l’on viendrait puiser dans le réservoir à sacrifices ».

Chacun des présidents élus ou auteurs de coups d’état ou bien de transition se sont montrés incapables de faire face aux nombreux besoins de la population, malgré un potentiel industriel et agricole peu communs en Afrique, mais ils ont su faire subir aux guinéens les pires violations des droits humains. Jusqu’à présent aucune enquête sérieuse n’a été entreprise. Peut-on envisager de bâtir l’avenir d’un pays sur la falsification de son histoire, le mépris de la loi, la haine tribale, l’arrogance et l’impunité? C’est à ces questions que les générations actuelles et futures doivent trouver une solution.