Cruauté et ignominie dans la nuit du 17 au 18 octobre 1971

Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1971, une horrible tragédie s’est jouée en Guinée emportant certains parmi les meilleurs cerveaux de notre pas. Des magistrats, des entrepreneurs, des ministres, des hauts gradés de l’armé, des directeurs de banque, des magistrats, des ambassadeurs, des étrangers, des citoyens lambda furent tués. En tout il y eut 70 victimes innocentes.

Il s’agissait pour Sékou Touré de sacrifices rituels prescrits par ses voyants occultes pour obtenir la chute du Président ivoirien Houphouët-Boigny. Ils furent extraits de leurs cellules dans quatre camp de détention politique : Boiro à Conakry), Kémé Bouraïma à Kindia, Soundjata Keita à Kankan et El Hadj Oumar Tall à Labé ». Ce sacrifice fut vain car le dictateur guinéen mourra avant son homologue ivoirien.

Le 3 avril 1984, des citoyens effaçant un des nombreux portraits du dictateur. Source campboiro.org
Le 3 avril 1984, des citoyens effaçant un des nombreux portraits du dictateur. Source campboiro.org

Kindo Touré, qui était reclus dans la Maison Centrale de Kindia, nous décrit les conditions dans lesquelles cette haine s’est déchainée contre ceux qui auraient pu nous laisser une Guinée moins pauvre, dans son livre Unique Survivant du « Complot Kaman-Fodéba ». Il décrit aussi les différentes manières que ces illustres victimes furent humiliées avant d’être impitoyablement massacrées et jetées dans des fosses communes. Toutes les ethnies de notre peuple eurent à payer chacune son tribut.

L’agression du 22 novembre 1970 a été un prétexte abusivement exploité pour organiser, à travers tout le pays, une campagne hystérique à l’appui le massacre d’innocents citoyens.

D’ailleurs, le secrétaire général du Parti, Sékou Touré; n’aimait-il pas rappeler souvent l’adage selon lequel : « à quelque chose, malheur est bon ! ». L’occasion était bonne, et profitant d’une solidarité nationale, africaine et intemationale, largement exprimée face à l’invasion portugaise, le pouvoir politique eut beau jeu de liquider tous les gêneurs, les opposants, les adversaires réels, potentiels ou mêmes imaginaires du régime. Le tout fut consommé avec une rare cruauté.

Des milliers de victimes tombèrent sans savoir pourquoi elles mouraient. Les détenus anciens et nouveaux ainsi que les collaborateurs ou assimilés ont été froidement massacrés. On tuait aux frontières ; on pendait dans toutes les régions ; on tuait en secret dans les prisons ; on torturait ; on tuait à coups de botte, de matraque, de fouet, de décharges électriques, de privation systématique de nourriture – « la diète noire ». On tuait partout et pour un rien !

On exécutait par armes automatiques au pied du mont Gangan et à Séguéya où les populations étaient continuellement sur le qui-vive. Les exécutions étaient de plus en plus fréquentes, de plus en plus massives.

English: Map of Guinea showing Kindia Region. ...
La région de Kindia (Photo credit: Wikipedia)

Les habitants des quartiers périphériques, à la lisière des champs d’exécution du mont Gangan, de Farhabé et de Fissa, terrorisés et traumatisés par les concerts de hurlements et de vociférations qui précédaient les crépitements des armes, ont fui pour d’autres zones plus tranquilles, abandonnant habitations et vergers.

A la Maison centrale de Kindia, on tuait par le fouet, par la matraque et par les balles.

La mort sous le fouet

Après l’agression, bon nombre d’anciens détenus avaient tenté de fuir, de se cacher pour échapper à la violence des responsables ; certains se sont perdus dans leurs tentatives. Ils ont été « ramassés », confondus, assimilés aux mercenaires ou aux collaborateurs et évacués pêle-mêle à Kindia.

Ces malheureux, dans une totale nudité, étaient ligotés, les coudes se touchant dans le dos, les genoux attachés et repliés au niveau des coudes. Après plusieurs jours de « diète » et toujours dans cet état, on les sort, un jour, vers 10 heures, on les couche sur la dalle de béton de la cour dont la température monte progressivement du fait de la chaleur.

Vers midi, une horde excitée de malabars, tous prisonniers de droit commun, est lâchée par le régisseur. A l’occasion,

es sur le mont Kakoulima
Moment de recueillement des parents et amis des victimes dans des fosses communes sur le mont Kakoulima

on a installé en plein air un tabouret sur lequel sont déposées des friandises, du tabac et des allumettes pour ces tueurs, ces bourreaux à gages. De solides nerfs de boeuf, des lanières tranchées de caoutchouc, sont mis à leur disposition et chacun est chargé de mater, de mater toujours plus fort ceux qu’on appelle les « ennemis du pays ».

Au préalable, les victimes sont arrosées de crésyl et on leur enduit le corps, tout le corps de sable; elles sont enfin livrées dans cet état à leurs bourreaux; les coups commencent pleuvoir sans cesse jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Si, au départ, les hurlements et les vociférations parviennent à couvrir les claquements des coups de fouet, à la longue, ils s’atténuent ; et on finit par ne plus entendre que les coups ; des bouches s’ouvrent mais n’émettent plus aucun son. Abominable…

Le bourreau lui-même transpire à grosses gouttes. L’un après l’autre, les suppliciés rendent l’âme. On ricane, on dit :
« Il s’est libéré, il peut se reposer ! »

A l’époque, le détenu était rien moins qu’un animal et il était traité comme tel. Un de ces malheureux, dégoulinant de sueur, après un vigoureux effort, tente d’atteindre avec sa langue une minuscule flaque d’eau. D’un bond, un sbire s’approche, lui écrase la bouche avec la semelle cloûtée de son brodequin…

Le bourreau à gages qui a le premier réussi à tuer est présenté comme un héros, les poings fermés levés vers le ciel, jubilant, fier comme Artaban ; il peut désormais aller vers le tabouret et se servir à sa guise des friandises de son choix. Le salaire de la cruauté et de l’ignominie…

Après un moment de repos, on lui livre sa seconde victime et il « s’y mettra » encore, le coeur tout aussi léger. C’est l’hystérie généralisée !

Ces séances étaient fréquentes à la Maison centrale de Kindia. Les cadavres ligotés, parfois avec des câbles, étaient traînés dédaigneusement, comme de la répugnante charogne pour être entassés, de chaque côté de nos portes où ils devenaient la proie des essaims de mouches bleues. Quelques rares fois, une vieille natte était négligemment jetée sur leurs dépouilles mortelles.

On disait que ces hommes ne méritaient pas les précieuses balles commandées par le Parti ; le fouet leur suffisait !

La mort sous la matraque 

Après la remise en ordre opérée par le capitaine Siaka Touré, dans la salle no. 4 avaient été regroupés ensemble tous ceux d’entre nous qui avaient tenté de fuir. Ensuite, tous ceux qui, par calcul ou ignorance, avaient été utiles aux mercenaires pour leur avoir fourni quelque indication ou renseignement et enfin les Balantes. Ces derniers, extradés de leur pays par leurs propres dirigeants, avaient été livrés au P.D.G., pieds et poings liés.

Tous les détenus de cette salle, bouclée en permanence, étaient soumis au régime de la privation totale de nourriture. Les pleurs, les vociférations, Ies gémissements déchirants traumatisaient tout le camp de concentration.

La nuit, généralement à partir de 23 heures, une équipe composée d’une demi-douzaine d’hommes en treillis se glissait furtivement dans la salle, matraque en main. Une forte et déprimante clameur s’élevait aussitôt, redoublait d’intensité et quelques moments aprés, c’était l’accalmie.

Le bruit des coups qui étaient administrés aux détenus sans force, parvenaient, malgré la distance, jusqu’aux occupants de notre salle. C’était l’enfer. Mission accomplie, les bourreaux en quittant la salle, jettent des coups d’oeil à gauche et à droite, disparaissent sur la pointe des pieds : ni vus, ni connus, ni entendus.

Le soir du lendemain, entre 19 et 20 heures, comme des charognes, les corps sont jetés dans des camions pour la fosse commune.

Les fusillades

Cette pratique de la mort violente était la plus courante. Le peloton d’exécution ne chômait pas ; les prisonniers de droit commun furent d’abord chargés de creuser les fosses communes mais, par la suite, les engins mécanisés durent entrer en action et sans arrét pour parachever la besogne.

A partir de janvier 1971, les enlèvements pour la fusillade devenaient aussi fréquents que massifs. Les préparatifs étaient bien connus. Entre 15 heures et 16 heures, liste en main (il la consulte fréquemment), le chef de poste regroupe des détenus dans une cellule ou dans une salle, selon leur nombre. On sent un certain énervement chez les hommes de garde dont on suit aisément les va-etvient, les dialogues. Sur la table du chef de poste une grosse pelote de ficelle est déposée. Pendant que les uns coupent la ficelle en morceaux de près de 2 m et mettent en ordre les bouts, d’autres nettoient les lampes-tempêtes, font le plein des réservoirs, tandis que le chef de poste change les piles des lampes-torches…

Le premier détenu qui voit ces préparatifs par le trou de la porte revient rapidement à sa place ; visiblement bouleversé dans toute son assise, il ne souffle mot mais son désarroi est évident ; un autre va voir et en quelques secondes, toute la salle est alertée. Le moral « tombe aux talons »; un silence de cimetière s’installe.

Qui sera « concerné »? Chacun souhaite que ce soit le voisin. Les plus courageux (ou simplement les résignés) font déjà leurs adieux à la salle, demandent à être pardonnés pour tout manquement inconsciemment commis à l’endroit d’un camarade. On répète les messages oraux ; les adresses des familles sont précisées à nouveau ; on s’étreint encore dans une profonde émotion.

Le repas — notre plat de riz blanc — servi entre 18 h et 19 h n’est pas mangé. On fait sa prière, la mort dans l’âme. On se couche, pas pour dormir mais pour méditer, sinon pour mieux pleurer en secret sous sa couverture à l’abri des yeux indiscrets.

Quand toute la Maison centrale est plongée dans le silence et l’obscurité, vers 2 heures du matin, d’un « clac » que l’on veut discret, la porte s’ouvre. Comme dans un mouvement d’ensemble parfait, les 40 ou 50 pensionnaires de la salle se retrouvent sur leur céans, les yeux anxieusement tournés vers la porte. La lumière vive de la lampe torche balaie les deux rangées de couchettes.

Le chef de chambrée est appelé.
J’arrive prestement. On me pose la question de savoir si « Untel est là ? » L’intéressé répond lui-même :
— Oui, présent !
Le geôlier enchaîne :
— Viens, mais surtout ne prends rien du tout. C’est inutile.
Devant la porte, dans le noir, des solides sbires attendent que l’appelé mette le nez dehors.
A pas lents, sous les regards émus de ses compagnons, le détenu traverse la salle. Une fois dehors, pris dans l’étau d’acier de deux bras vigoureux, des gémissements et des pleurs lui échappent. Il se sent perdu. Son sort est désormais connu.

Les condamnés à mort férocement ligotés sont jetés comme des sacs de marchandises entre les ridelles des camions garés de part et d’autre du portail. Les véhicules démarrent en direction du champ d’exécution. Une quinzaine de minutes plus tard, les crépitements nourris et brefs des armes automatiques nous parviennent. C’est terrible, horrible, pénible à supporter.

Les geôliers reviennent dans les mêmes véhicules ; ils se racontent bruyamment la scène laissant tomber leurs outils (pelles, dabas) font une toilette sommaire et dans leurs commentaires, expriment leur admiration pour celui-ci, courageux, devant la mort, dénigrent celui-là pour ses cris, ses pleurs, ses lamentations inutiles.

Un soir, le capitaine Siaka Touré, occupé à faire rassembler les condamnés fut supplié par un détenu qui tenait à rejoindre un de ses amis, transféré selon lui, dans une autre salle. Le capitaine regarde, sourire aux lèvres, son innocent interlocuteur et lui dit :
— Attends demain !
L’ami en question devait être exécuté dans la même nuit.

Chaque année, l’Association des victimes du Camp Boiro organise une cérémonie religieuse à la mémoire des victimes. Cette année, à l’heure où j’écris ce billet, il n’est pas sûr que ce sera possible considérant la situation politique tendue.   

Voici lune liste partielle des victimes massacrées dans la nuit du 17 au 18 octobre 1971, élaborée par l’Association des victimes du Camp Boiro. Si vous trouviez les noms qui manquent et des photos, je vous prie de nous les communiquer:

NOM FONCTIONS DATES ARRESTATION
Observations sur date exécution
ARIBOT « SODA » Souleymane Planteur
BAH Bademba Notable
BAH Mody Baïlo Commerçant
BAH Thierno Ibrahima Gouverneur /Chef de Cabinet
BALDE Abdoulaye Directeur Ecole Militaire
BALDE Oumar Ingénieur Secrétaire Exécutif OERS
BAMA Marcel Mato Ministre
3 Août 1971 à Siguiri
BANGOURA Karim Ex Ambassadeur, Ministre des transports
Barry Abbas Douanier
BARRY Cellou Inspecteur des Douanes
BARRY Mody Oury Industriel (Fils de l’Almamy de Mamou
CAMARA Ali InspecteurAffaires financières (douanier)
CAMARA Baba Gouverneur
CAMARA Bakary chef de quartier juillet 1971
CAMARA Bakary Président du Tribunal
CAMARA Doussou Mory Financier
CAMARA Fama Douanier
CAMARA Filas Contrôleur du travail
CONDE Emile
Gouverneur de Kankan (ancien Ministre )
juillet 1971
COUMBASSA Abdoulaye Commissaire de Police (Sécurité N’Krumah)
DIALLO Abdoulaye Docteur Chirurgien
DIALLO Alpha Amadou « M’en Parler » Ministre de l’information juillet 1971
DIALLO Alpha Taran Chirurgien, Ministre
DIALLO Karo Infirmier Camp Boiro
Juillet ou octobre 71
DIALLO Oumar Kounda Gouverneur
DIALLO Oury Missikoun Inspecteur Finances
DIALLO Souleymane Ex Minsitre Commerce Extérieur
DIALLO Souleymane Yala
Directeur des prix et conjonture
arrêté 1971
DIALLO Youssouf Lieutenant
Juillet ou octobre 71
DIOP Ahmadou Tidiane “Saint Germain” Restaurateur
DIOP Tidiani Directeur Administratif FRIA
FASSOU Michel Sous Lieutenant
janvier ou octobre 71 ???????
GHUSSEIN Fadel Chef de Cabinet arrêté  1971
HABA Paul Commissaire 1971
HANN Saïdou ????
KABA ELHADJ Diafodé
Janvier ou octobre 71 ??????
KABA Mamady Notable (Société Sogonikoun)
KEITA Fadiala Ambassadeur (Directeur Général OBK) juil.-71
KEITA Kémoko
Magistrat (Procureur Général)
                                                                                  arrêté 1971
KOIVOGUI Massa Planteur, Secrétaire Fédéral Macenta
KOUROUMA Missa Ex Fédéral de macenta
KOUROUMA Soma Ct Camp Samory
juillet ou octobre 71 ???????
MAKADJI Tidiane Agent SNE
juillet ou octobre 71
MATHOS Gnan Felix Directeur Banque
M’BAYE Cheick Oumar Ambassadeur 6 août 1971
N’DIAYE Boubacar Lieutenant
juillet ou octobre 71 ???????
PORRI René, dit Doumbouya Chef Milicien Conakry 2
SAGNO Mamady Ministre juillet 1971
SASSONE André
Directeur  (témoin de mariage Sékou Touré)
arrêté 1971
SAVANE Morikandian Ministre [$-26120C]mmmm-yy
SOW Aliou Contributions Diverses
SOW Mamadou Vétérinaire, Ministre du Plan [$-26120C]mmmm-yy
SYLLA Fodé Saliou
Magistrat Procureur adjoint,
arrêté 1971
SYLLA Mamadouba Chef réseau SNE
juillet ou octobre 71
THIAM Baba Hady Directeur de Banque
juillet ou octobre 71
TOUNKARA Tibou Ministre juillet 971
TOURE Kerfala Urbanisme et Habitat
TOURE Sékou Sadibou Industriel Malien Directeur Fruitaguinée

L’arrestation de Dr. Bocar Maréga et 10 membres de sa famille

Ce 28 septembre 2013, notre peuple s’est encore une fois mobilisé pour aller voter massivement afin de mettre fin à ce régime de transition qui n’aura que trop duré. Il y a 55 ans, notre peuple avait fait le bon choix, mais il fut trahi par Sékou Touré et sa bande de tueurs du PDG. Le régime actuel a tout fait pour ressusciter ce monstre, en particulier en accordant une somme importante pour ces élections, en dépit de tous les crimes, pillages et autres actes barbare y compris des sacrifices humains, commis contre notre peuple. Les électeurs l’ont massivement rejeté.

Dabola, 6 août 1955. Mariage de Dr. Bocar Maréga et Maimouna Bâ. Au second rang : Macki Oumar Dieng (témoin de la mariée), Mamadou Alsény Bâ (ami du marié), Kaman Diaby (témoin du marié), Fodé Bocar Maréga et le commandant français du cercle. Source: campboiro.org
Dabola, 6 août 1955. Mariage de Dr. Bocar Maréga et Maimouna Bâ. Au second rang : Macki Oumar Dieng (témoin de la mariée), Mamadou Alsény Bâ (ami du marié), Kaman Diaby (témoin du marié), Fodé Bocar Maréga et le commandant français du cercle. Source: campboiro.org

Je publie dans ce billet un extrait d’une lettre de Maimouna Bâ, veuve du Dr. Bocar Maréga, sur l’arrestation de son mari. Parmi les nombreuses victimes de la dictature, celle de Dr. Maréga illustre à elle seule combien ce régime a handicapé la Guinée par l’élimination du peu de cadres qu’elle avait. En effet, non seulement avec son arrestation elle a perdu un médecin, mais 9 autres hauts cadres universitaires et un des premiers entrepreneurs et industriel du pays furent arrêtés. Rappelons-nous d’eux en cette occasion.

Docteur Bocar Maréga, sorti de l’Ecole de Médecine de l’AOF de Dakar, en 1949 avec le diplôme de Médecin africain, alla se spécialiser à Paris et à Bordeaux, en chirurgie générale à Paris, après 7 années d’étude de médecine. Il fit un internat de 4 ans à l’hôpital de Corbeille en Essonne, s’impliquant dans la recherche sur la vésicule biliaire avec le chef de service, le professeur Goidin.

Nous sommes entrain de payer encore les conséquences de cette hécatombe de cadres supérieurs et d’hommes d’affaires qui auraient pu mettre leurs compétences au service de notre peuple.

Extrait du témoignage de Maimouna Bâ, veuve Maréga:

La Guinée tout entière était enveloppée dans une atmosphère lourde de tension et de terreur. On avait commencé par arrêter les officiers comme Keita Cheick. Ensuite, on a arrêté le Colonel Kaman Diaby en mars. Ce dernier était du groupe de Bocar Maréga.

Dr. Maréga fut arrêté le 12 avril 1969 vers 14 heures. Il revenait de l’hôpital. A l’époque, sa famille habitait en ville à la Corniche, près de l’hôtel de France (actuel Novotel). Les policiers sont d’abord allés le chercher à l’hôpital, mais ne l’ayant pas trouvé, ils sont venus à la maison. Ils lui ont dit qu’on le demandait au Camp Boiro. Tous les enfants (Fodé, Binta, Madani, Baba Hady) étaient dehors. J’étais dans la maison. Ils l’ont pris dans le garage. Je n’ai su qu’il avait été arrêté que par les enfants qui sont venus m’avertir, et les policiers qui sont venus perquisitionner la maison. L’un des policiers, un certain Bangoura, qui était venu perquisitionner la maison était un ancien élève de mon père, feu Bâ Madani Sabitou.

Il s’est excusé d’avoir à prendre nos affaires. Ils emportèrent tous les papiers, les appareils, cinq appareils photos, des fusils de chasse, cassettes…

Les parents et les amis sont venus à la maison pour rendre visite. Ils avaient été informés de l’arrestation. J’ai dit à ma sœur, Nima Sow (épouse de Mamadou Sow Dara), d’aller avertir mon frère Thierno Bâ de l’arrestation de Docteur Maréga. Elle est revenue nous informer que lui aussi avait été arrêté à la même heure.
C’était le début de l’hécatombe familiale : Diop Tidiane, Baïdy Guèye

On ne les a revus que le 22 novembre 1970, lors de l’attaque des Portugais (l’agression du 22 novembre 1970). A l’époque, on n’avait pas de droit de visite. La famille ne voyait donc pas les prévenus, qui n’avaient pas non plus droit à des avocats.

Ils furent détenus au Camp Boiro, et —après le 22 novembre 1970 — à la prison centrale de Kindia.

Ils subirent le dur régime de la prison (lire entre autres, le livre de Kindo, “Dernier survivant du complot Kaman-Fodéba”). Des documents et notes en ma possession seront mis à la disposition du public lors de la publication d’un livre en cours de préparation.

Le comité révolutionnaire menait les interrogatoires. Il était composé, notamment d’Ismael Touré, Siaka Touré, Moussa Diakité, Keira Karim, général Lansana Diané, et bien d’autres.

Vingt-quatre heures après l’arrestation de Maréga, on nous a chassé de la maison de fonction que l’on occupait en ville, en face de l’hôtel de France (actuel Novotel). On est alors allé habiter notre maison à Ratoma, qui venait d’être achevée.

Mais, quand on les a condamnés, en mai 1969, la sentence incluait la saisie de l’ensemble des biens des détenus. On nous a donc chassé de notre maison de Ratoma. La maison de Matam aussi a été saisie. Nos comptes bancaires ont été vidés. En fait, il s’agissait plutôt d’un vol organisé : tous nos biens personnels y sont passés. Même nos livres ont été saisis. Un ami a retrouvé la thèse de mon mari à la Bibliothèque Nationale. On n’a jamais pensé que j’étais pharmacienne, et qu’en tant que telle, j’avais droit au logement au même titre que mon mari médecin. Et donc, une expulsion du logement ne se justifiait pas, même si l’on utilisait leurs critères à eux.

Il y avait cependant deux valises dans lesquelles j’avais mis nos papiers importants. Ces deux valises avaient été remises à Siaka Touré, avec le nom de mon mari inscrit sur chacune des valises. Quelques mois après l’arrestation de Dr Maréga, quand la tension s’est calmée, je me suis rendu au bureau de Siaka Touré pour lui expliquer que mes enfants et moi n’avions plus de papiers, tout étant dans deux valises. C’est à ce moment, qu’il a fait sortir ces deux valises, sans même que quelqu’un ne les ait ouvertes, et me les a restituées. Ils auraient pu vider les valises et jeter les papiers.

Mme. Maimouna Maréga (auteure de ce récit) en 1987 à Abidjan. Source: campboiro.org
Mme. Maimouna Maréga (auteure de ce récit) en 1987 à Abidjan. Source: campboiro.org

A l’époque, c’est Sékou Touré qui avait empêché que je sois arrêtée. D’autres souhaitaient me faire arrêter parce qu’ils estimaient que si mon mari savait quelque chose, moi aussi j’aurais du être au courant, puisque mon mari et moi étions très proches et échangions sur tous les sujets. Sékou Touré a sans doute pensé qu’il aurait pu m’arrêter quand il voulait. Il n’était pas pressé. Mais j’ai fui la Guinée avant que cela n’arrive. En effet, j’ai su par des proches que j’étais sur une liste, ainsi que ma sœur Nima Sow, qui sera effectivement arrêtée ultérieurement (1974-1975).

Entre avril mai 1969 et septembre 1970, j’avais des nouvelles de Dr Maréga parce que je payais huit gardes, pour me permettre de correspondre régulièrement et clandestinement avec mon époux. Madame Camara Balla et moi utilisions ce moyen pour rester en contact avec nos époux et leur venir en aide. Je leur envoyais de la nourriture et des médicaments (je travaillais à Pharmaguinée), et eux, les distribuaient à plusieurs détenus. Même au sein du comité révolutionnaire, j’avais un contact — un policier — qui me donnait des informations.

Vers septembre 1970, Siaka Touré a découvert notre réseau et a fait fusiller les 8 gardes. Tous furent remplacés. Siaka Touré nous reprochait de faire de la subversion. Siaka Touré lui-même est venu m’informer de cette exécution.

Vers le 20 novembre 1970, j’ai été voir Siaka Touré pour lui demander la permission officielle de correspondre avec Dr Maréga. Il m’a dit d’aller voir Sékou Touré. Madame Camara et moi y avons été à quelques jours d’intervalle. Le principe avait été accepté, mais il restait à définir les modalités. A ce moment, il y avait moins de tension, on sentait une certaine accalmie. Mais après le 22 novembre 1970, tout a été remis en cause.

A l’exception de l’ancien ministre Jean Faraguet Tounkara, tous les proches compagnons de détention furent fusillés : Moussa Touré, Camara Balla, Thierno Bâ, Tidiane Diop.

Le 22 novembre 1970, nous habitions à la Cité des Médecins, près du Camp Boiro. Les militaires portugais, vêtus de bottes et de casques, passèrent dans notre cours pour aller vers l’hôpital pour récupérer leurs malades. Toute la nuit, on a entendu des coups de feu. On était inquiet parce qu’on ne savait pas ce qui se passait.

Au cours de la matinée, les Portugais ouvrirent les portes du Camp Boiro. Les prisonniers sortirent. Ne sachant pas que nous habitions à la Cité des Médecins, Bocar Maréga, Thierno Bâ, Tidiane Diop et Baidy Guèye se rendirent chez mon oncle, le Docteur Mamadou Kaba Bâ, qui habitait alors en face de chez nous. C’est là qu’on les a vus. Ils se sont lavés et se sont changés. J’ai alors envoyé un neveu, Papa Thiam, chercher ma sœur Nima Sow et les autres. Vers midi, on a entendu à la radio que les prisonniers devaient se rendre à la permanence du Parti. Plutôt que de partir avec les Portugais, les prisonniers ont préféré se rendre, estimant que, n’ayant rien à se reprocher, ils seraient probablement libérés.

On les a amenés à la permanence à Dixinn en milieu de journée. Ils y sont restés jusqu’au soir. Je leur ai apporté à manger au cours de la journée.

C’est la dernière fois qu’on les a vus. Ils furent envoyés à Kindia, où les rumeurs indiquaient qu’ils furent fusillés. On ne sut réellement qu’ils étaient morts qu’en 1984, 13 ans plus tard, à la mort de Sékou Touré, quand les militaires ont pris le pouvoir : ils ont ouvert les portes des prisons et tout le monde a su.

Parmi les milliers de personnes arbitrairement arrêtées et exécutées par le régime de Sékou Touré, un certain nombre de personnes sont liées à feu Bocar Maréga par des liens de famille ou d’amitié très forts. Il s’agit notamment de :

  1. Baba Hady Thiam, oncle maternel de docteur Maréga (dernier frère de sa mère). Titulaire d’une licence et d’un DES en Droit. Directeur de la Banque du Commerce Extérieur.
  2. Mamadou Daralabe Sow, beau-frère de docteur Maréga. Dr Sow était l’époux de ma sœur aînée, Hadja Nima, qui sera elle-même victime directe du régime de Sékou Touré puisqu’elle fera la prison du Camp Boiro. Dr Sow était vétérinaire, Directeur du Plan, et ancien Ministre.
  3. Thierno Sabitou Bâ, mon frère cadet et beau-frère donc de docteur Maréga. Dr Bâ était diplômé de l’école vétérinaire de Lyon. Il était chargé des fermes d’Etat et de l’abattoir de Coléah.
  4. Colonel Kaman Diaby, frère adoptif de docteur Maréga. Il fut élevé par Fodé Bocar Maréga depuis l’âge de 5 ans). Chef d’Etat-Major Adjoint des Forces Armées guinéennes, il fut le premier aviateur d’Afrique francophone et fit campagne durant les guerres d’Indochine et d’Algérie. Il était diplômé de l’école d’aéronautique de Salon en Provence.
  5. Amadou Tidiane Diop, cousin de docteur Maréga, de Thierno Bâ et beau-cousin de Sow Mamadou Dara. Titulaire de deux licences. Directeur administratif de Fria.
  6. Baïdy Guèye, oncle de Bocar Maréga et cousin de Amadou Tidiane Diop. Grand commerçant et industriel guinéen.
  7. Habib Tall, arrière petit-fils d’El Hadj Oumar Tall. Directeur de cabinet de Fodéba Keita au Ministère de la Défense, ancien gouverneur de Conakry.
  8. Baba Barry, cousin de docteur Maréga. Sa mère est de Dinguiraye. Il fut administrateur-directeur de société.
  9. Mody Sory Barry, époux de Nènè Barry (sœur de Baba Barry), dont la mère est une tante.
  10. Hadja Nima Sow, belle sœur de docteur Maréga. Elle est enseignante de profession. Elle fut emprisonnée au Camp Boiro pendant 9 mois, d’octobre 73 à juillet 74.

Tous ces dix détenus sont de la famille de Dinguiraye. Comme pour beaucoup de familles en Guinée, la politique de Sékou Touré visait à détruire l’ancien ordre et spécialement les élites du pays. Madani Sabitou Bâ (père de Thierno Sabitou Bâ et beau-frère de docteur Maréga) et Fodé Bocar Maréga furent les premiers guinéens à faire leurs études en France, à l’Ecole Normale Supérieure d’Aix -en-Provence. Leurs enfants et neveux furent aussi de hauts cadres supérieurs.
Seule, Hadja Nima Sow survécut, et son récit sera communiqué bientôt.

De nombreux auteurs et témoins pensent que le dictateur aurait massacré la famille du Dr. Bocar Maréga parce que le dictateur soutient que le père de Dr. Maréga, l’aurait renvoyé de l’école.

Mme Maréga, elle-même, comme elle le dit dans son témoignage, elle a été pharmacienne. Mais elle a aussi été professeur à l’Ecole nationale de la Santé, Directrice de la pharmacie de l’hôpital Ignace Deen, ainsi que de la Pharmacie nationale Pharmaguinée. Elle a créé la Faculté de Pharmacie et sa bibliothèque.